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04/28/2011
Hector Berlioz : Mémoires, comprenant ses voyages en Italie, en Allemagne, en Russie et en Angleterre
Symétrie et Palazzetto Bru Zane, 2010 – publié avec le soutien du Festival Berlioz et du Musée Hector-Berlioz – 705 pages, 14,80 €
Les Mémoires de Berlioz sont à la fois un témoignage de l’esprit et du quotidien d’une époque, une évocation des gloires et des travers du monde musical européen, une critique constructive des institutions musicales, un traité sur l’orchestre, sur l’instrumentation et sur l’interprétation, un brûlant aperçu du romantisme français à l’œuvre en actes et en effets, et une vision intime des fiévreux états d’âme entourant la vocation et l’inspiration créatrice. A travers les différentes facettes et au fur et à mesure d’un récit de plus en plus personnel et à vif, filtre un portrait tout aussi intime du compositeur lui-même, âme exaltée, lucide, solide et sensible, aux prises avec les émotions fortes, les contrariétés de tout ordre et les drames terribles de la vie. Les éléments se cristallisent en un trait commun qui est, outre l’apologie de la musique et des arts, la volonté de l’auteur de cerner pour la postérité les raisons profondes de son statut d’éternel incompris en son temps dans sa quête du beau et de l’absolu musical.
Les dons littéraires de Berlioz sont indéniables. Son expression est aisée et son style alerte et fluide. Il a beaucoup d’esprit, à l’occasion caustique, et un sens très fin de l’ironie et de la mise en scène ou en abyme. Toutefois, s’il établit d’emblée un contact direct avec le lecteur, si aujourd’hui on le lit comme un contemporain, c’est par la modernité captivante de son style, certes, mais c’est aussi par l’émotion. Il vit. Les Mémoires, genre littéraire par excellence sans contrainte, se construisent avec une acuité surprenante, non pas sur la description et le simple récit mais sur un ressenti profond des arts, des faits et de chaque parole et de chaque action qui touche à la source universelle de la force et de la fragilité de l’homme. Le plaisir de le lire est immense – c’est une satisfaction permanente à la fois intellectuelle, poétique et humaine.
Cette nouvelle édition a plusieurs atouts, à commencer par les plus simplement matériels: la présentation en un seul volume, la maniabilité et la légèreté malgré le nombre des pages, la solidité et la qualité du papier alliées au caractère pratique du format broché de poche, la clarté agréable de la police de caractères avec ligatures, l’esthétique exigeante de la mise en page et la correction assurée des exemples musicaux. Symétrie soigne comme à son habitude le moindre détail. Ainsi le lecteur trouve-t-il en fin de volume les aides nécessaires, avec, en plus de l’index des personnes et de l’index des œuvres de Berlioz, fort utiles, les notes page par page de Guy Sacre, qui précise la source et le contexte des nombreuses citations que le compositeur fait en français ou en anglais, allemand, italien ou latin, et en propose au besoin une traduction.
Un autre avantage de cette édition est sans aucun doute l’introduction d’Alban Ramaut, professeur de musicologie à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne et spécialiste du romantisme musical français. C’est un éclairage précieux en huit volets qui concernent aussi bien les faits historiques ou personnels, connus ou révélés, que la chronologie précise de la rédaction et son influence sur le style de Berlioz et sur son approche littéraire, la psychologie évolutive du compositeur mémorialiste et la notion exacte du romantisme français qu’il incarne. Alban Ramaut estime que «les Mémoires de Berlioz peuvent assurément compter parmi les témoignages littéraires les plus précieux qui soient du romantisme français» et précise que «ce texte doit son caractère d’universalité à ce qu’il se place aux côtés de quelques autres grands écrits d’artistes français – peintres, penseurs ou poètes, tels Delacroix, Guizot ou Hugo – et parce qu’il délimite avec la plus vive acuité le contour si singulier que le génie du temps assigna alors aux aventures de l’esprit».
Les Mémoires d’Hector Berlioz n’ont sans doute plus aucun secret pour beaucoup de mélomanes mais, prenant appui sur la seconde édition de 1878 (Calmann-Lévy), la nouvelle édition Symétrie peut les intéresser par ses différentes qualités qui la distinguent des précédentes. L’ouvrage fera plus que satisfaire ceux qui ont devant eux la joie de la découverte et les historiens et les amateurs de belles-lettres ne sauront se détourner de ce beau texte si bien écrit, si instructif, si personnel... et si attachant.
Christine Labroche
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