Back
01/23/2011 «Alfred Brendel. A Birthday Tribute»
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 1, opus 15 (#)
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 25, K. 503 (¤)
Ludwig van Beethoven : Sonate n° 31, opus 110
Franz Schubert : Impromptu, D. 935 n° 1
Alfred Brendel (piano), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Colin Davis (direction) (#), SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Hans Zender (direction) (¤)
Enregistré en concert dans la Herkulessaal de Munich (28 février et 1er mars 1985) (#), au Festspielhaus de Baden-Baden (15 février 2002) (¤) et au Grosses Festspielhaus de Salzbourg (7 août 2007) – 114’
Coffret de deux disques Decca 478 2604 (distribué par Universal) – Notice de présentation en français, anglais et allemand
Pour Decca, Alfred Brendel représente, depuis sa retraite de la scène (lire ici), un sujet discographique de première importance. On ne peut que s’en réjouir, tant les enregistrements du pianiste autrichien (né en 1931) gagnent à être aisément accessibles au plus grand nombre. Pour fêter les quatre-vingt printemps du maître (le 5 janvier 2011), le label réédite simultanément deux coffrets à prix léger – une intégrale des Sonates et des Concertos (Haitink/Londres) de Beethoven en douze disques et une anthologie Schubert en sept disques – et deux albums composites présentés sous le titre d’«Artist’s choice» pour le premier (qui réunit trois heures et demie d’enregistrements bien connus) et de «Birthday tribute» pour celui dont on rendra compte ici. Commençons, à ce propos, par relever une petite approximation de l’éditeur qui annonce, au dos de la pochette, quatre «unreleased concert recordings»: en réalité, deux œuvres seulement sont véritablement inédites en CD, le Beethoven et le Schubert donnés en 2007 lors d’un récital à Salzbourg figurant déjà dans un coffret de vingt-cinq disques publié pour célébrer les cinquante ans du festival autrichien (DG 477 9111).
A l’occasion de concerts donnés trois mois avant et deux mois après le récital salzbourgeois d’août 2007, ConcertoNet décrivait l’interprétation d’Alfred Brendel dans ces deux partitions en rendant hommage à la manière dont il «dose la puissance, creuse sa lecture, pensée dans les détails, et crée les couleurs d’un ciel gris où pointent néanmoins les rayons du soleil» (Beethoven), lui permettant d’exalter «le naturel dans l’expression, l’exacte synthèse entre les composantes romantiques troubles et la simplicité d’un style éminemment viennois» (Schubert). On ne boudera donc pas son plaisir devant cette Sonate en la bémol majeur (1821) qui révèle la quintessence du Beethoven ultime, maître des variations et des transformations perpétuelles, devant cette lecture d’un seul jet ne connaissant de faiblesses qu’à la toute fin de l’œuvre (moment de fatigue passagère?). Dans la notice, Alfred Brendel – dont on sait qu’il aime à peser ses mots – écrit ceci: «de toutes mes tentatives pour rendre justice à ce morceau si exceptionnel et si fragile, c’est celle-ci qui est la plus chère à mon cœur». Tout aussi réussi, dessiné au clair-obscur par de petites touches sobres et précises, d’une respiration frémissante, l’Impromptu en fa mineur (1827) de Schubert est empreint d’une couleur très particulière: celle des adieux – du dernier Schubert à la vie tout autant que de l’interprète à sa carrière. Quel dommage, en revanche, d’avoir conservé la salve d’applaudissements qui suit de bien trop près la dernière note du clavier!
Quant au plat de résistance de l’album, il réside dans les deux œuvres concertantes qui y figurent. Capté à Baden-Baden en 2002, le Concerto en ut majeur (1786) de Mozart est vraiment admirable: sans l’ombre d’un doute, un apport majeur à la discographie du pianiste. On se contentera de peu de mots pour évoquer cette interprétation lumineuse où Brendel délivre, de son toucher à l’articulation claire et homogène, un discours chaleureux, touchant et juste – tout simplement mozartien – auquel l’accompagnement attentif et infaillible de Hans Zender contribue grandement. Le Concerto en ré mineur (1858) de Brahms provient, lui, d’un concert munichois de 1985. Le piano y est conquérant, dès son entrée – pleine d’évidence et de détermination – dans le Maestoso et, plus encore, tout au long d’un Rondo presque haydnien, au dynamisme et à l’éclat évoquant tout autant la taquinerie du folklore que le bonheur de vivre. Dans un tempo qui ne traîne pas (soutenu sans faiblir par un Colin Davis à la tête d’un orchestre d’une rare cohésion – celui de la Radio bavaroise), le souffle brahmsien s’intensifie sans cesse. Le remarquable équilibre entre la délicatesse de la mélodie et la puissance du discours impressionne peut-être davantage qu’il n’emporte ou n’anéantit (à l’image, par exemple, des versions Arrau/Giulini, Grimaud/Sanderling ou même Kovacevich/Sawallisch), la faute à certains défauts inhérents au direct (très légers décalages, brèves chutes de tension) et à une esthétique privilégiant la clarté sur la furie. Un choix interprétatif assez différent de la version de studio enregistrée par le pianiste un an et demi plus tard (en septembre 1986), dans un disque Philips où la houle du Philharmonique de Berlin se déchaîne (sous la baguette de Claudio Abbado) et qu’on continue de préférer... et ce, bien qu’Alfred Brendel écrive, dans la notice, qu’il «pâtissait d’un problème de balance [avec un] son du piano (…) trop lointain» – un «défaut» qu’à la réécoute, on se permettra de relativiser franchement. Du grand art néanmoins.
Le site d’Alfred Brendel
Gilles d’Heyres
|