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12/31/2010 Rodion Chédrine : Le Voyageur ensorcelé – Le Petit Cheval bossu (quatre extraits) – Concerto pour orchestre n° 1 «Les Tchastouchkas espiègles»
Sergueï Alexachkine (Ivan Severyanovitch Flyaguine, Narrateur), Kristina Kapoustinskaïa (Groucha la Gitane, Narratrice), Evgueny Akimov (Le moine flagellé, Prince, Magnétiseur, Vieil homme de la forêt, Narrateur), Chœur du Théâtre Mariinsky, Andreï Petrenko (chef de chœur), Orchestre du Théâtre Mariinsky, Valery Gergiev (direction)
Enregistré à Saint-Pétersbourg (15-25 juillet 2008) – 111’11
Album de deux SACD hybrides Mariinsky MAR0504 (distribué par Harmonia mundi)
Valery Gergiev n’est pas seulement venu à Paris cette saison pour interpréter en septembre et en décembre à Pleyel une partie de son intégrale Mahler: début novembre au Théâtre du Châtelet, il a présenté deux longues partitions de Rodion Chédrine (né en 1932), l’une qui a très tôt contribué à sa renommée, le ballet Le Petit Cheval bossu (1955), l’autre beaucoup plus récente, Le Voyageur ensorcelé (2002). Lorin Maazel, dédicataire et commanditaire de l’œuvre pour son Orchestre philharmonique de New York, qui avait demandé au compositeur «quelque chose de russe», n’a pas été trompé sur la marchandise – des cloches comme chez Tchaïkovski, de la repentance comme chez Moussorgski, une Gitane comme chez Rachmaninov, des Tatars comme chez Prokofiev, un «opéra de concert» en deux parties comme chez Stravinski – même jusque dans les interludes orchestraux («Nuit d’ivresse», «Bergers russes», «Bateaux sur la Volga»)... Chédrine a lui-même écrit le livret de son quatrième opéra, adapté de Nikolaï Leskov: l’auteur de la sulfureuse Lady Macbeth qui avait inspiré Chostakovitch narre les pérégrinations et rencontres fantastiques d’un jeune homme (basse) qui, après avoir flagellé un moine à mort, est capturé et torturé par les Tatars, rejoint l’escorte d’un prince, tombe amoureux d’une Gitane (mezzo) et s’enivre en compagnie d’un mystérieux aubergiste magnétiseur. Ayant précipité du haut d’une falaise la Gitane qui menaçait de tuer le prince et sa fiancée, il est poursuivi par son fantôme et par celui du moine, qui l’invitent à expier ses péchés.
S’il ne l’a donc ni suscitée ni créée, Gergiev s’est fait le défenseur actif de la partition, dont il a dirigé la première russe en 2007 avant de la monter dans une version scénique dès 2008, dans la foulée du présent enregistrement, et de la donner ensuite à l’étranger. La notice (en russe, anglais, français et allemand), augmentée du texte intégral du livret (avec sa traduction en anglais), nous assure que «les spectateurs, compatriotes du compositeur et admirateurs de son génie depuis longtemps, furent frappés par la beauté et la spiritualité très russes de la partition», à laquelle ils réservèrent une ovation d’une demi-heure. Il serait inutile d’épiloguer sur le caractère peu innovant, pour ne pas dire convenu, de l’écriture orchestrale et vocale de Chédrine si ces quatre-vingt-dix minutes ne paraissaient bien longues, du moins à l’auditeur non russophone, nonobstant les mérites évidents des interprètes, en particulier de la mezzo Kristina Kapoustinskaïa.
Un opéra trop large pour un seul disque, mais laissant beaucoup d’espace sur le second disque, que ne remplissent toutefois pas les cinq plages qui le complètent: quatre extraits du Petit Cheval bossu et le premier des cinq concertos pour orchestre de Chédrine, Les Tchastouchkas espiègles» (1963). Avec ces deux œuvres, sans doute parmi ses plus réputées si l’on excepte l’inévitable Carmen-Suite, Chédrine, à la différence de ses contemporains Goubaïdoulina ou Denisov, évite certes toute audace de nature à braquer le régime, mais fait valoir un métier très sûr, aussi bien dans les pages tirées du ballet, avec un indéniable sens du divertissement hérité de Glière ou de Khatchatourian, que dans son bref hommage aux tchastouchkas (chants populaires irrévérencieux), maniant un humour gentiment sarcastique.
Simon Corley
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