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12/10/2010 Benjamin Britten : Quatuor n°3, opus 94
Franz Schubert : Quatuor n°14 en ré mineur, «La Jeune fille et la Mort», D. 810
Quatuor Amadeus: Norbert Brainin, Siegmund Nissel (violons), Peter Schidlof (alto), Martin Lovett (violoncelle)
Enregistré par la SWR à la salle de concert du Château de Schwetzingen (21 mai 1977) – 63’28
Hänssler Classic (Edition Schwetzinger SWR Festspiele) 93706 – Notice en allemand et an anglais
Hänssler Classic, devenu partenaire en 2009 des Schwetzinger SWR Festspiele, a pris l’excellente initiative d’éditer tous les ans quatre des concerts du Festival puisés dans les riches archives de la SWR, en se concentrant, dans un premier temps, sur les grands interprètes. D’abord connu pour la création d’un opéra tous les ans, le Festival obéit depuis sa fondation en 1952 à trois mots d’ordre: faire redécouvrir l’ancien, lancer le nouveau et promouvoir les jeunes interprètes. Le présent enregistrement, capté en direct, est celui d’un concert donné par le Quatuor Amadeus en 1977. Le programme lance une œuvre alors toute nouvelle, le Troisième Quatuor de Benjamin Britten, dont la création mondiale par les Amadeus avait eu lieu aux Snape Maltings, dans une relative confidentialité, à peine cinq mois auparavant.
Le Quatuor Amadeus fuyait le radical et se tournait peu vers la musique nouvelle, exception faite de celle de quatre compositeurs qui leur étaient proches: deux Britanniques, Benjamin Britten et Michael Tippett, et deux Hongrois, Béla Bartók et Mátyás Seiber, ce dernier réfugié en Angleterre, comme les deux violonistes et l’altiste de la formation, lors des persécutions antisémites des années 1930. On peut accueillir donc avec plaisir ce fin témoignage de leur maîtrise et de leur grande disponibilité musicale.
Dédié au musicologue Hans Keller, Autrichien également réfugié à Londres, le Troisième Quatuor de Britten, œuvre testamentaire, touche au thème de la mort comme le Quatuor en ré mineur de Schubert. Le deuxième mouvement, «Solo», et le troisième, «Burlesque», portent un hommage appuyé à Chostakovitch l’ami disparu en 1975, année de la conception du quatuor. Le dernier à l’oscillant ostinato, «Recitative and Passacaglia, "La Serenissima"» est une discrète référence à son opéra Mort à Venise, auquel Britten emprunte certains motifs, avec, en parallèle, l’adieu à Venise, ce lieu cher, d’un compositeur malade et fragilisé comme son héros, Aschenbach.
D’une riche diversité expressive, les cinq mouvements – dont la structure en arche, certains climats et certaines techniques évoquent fugitivement mais volontairement Bartók et Mahler – alternent un dépouillement intimiste et une vivacité âpre et mordante qui témoigne de l’intérêt que Britten portait à l’avant-garde en particulier par les différents styles de pizzicati parfois obsédants et les instants de jeu derrière le chevalet. Les Amadeus se prêtent avec souplesse tout aussi bien à la causticité du Quatuor qu’à sa prégnance. Les quatre musiciens maintiennent un bel équilibre – notamment lors des duos imbriqués du premier mouvement et lors du cinquième où le thème passe de corde en corde, habilement enchaîné – et une finesse de jeu remarquable, affirmé, ludique et audacieux au besoin, sinon d’un lyrisme délicat qui souligne avec grâce la poésie et l’émotion distanciée de l’œuvre. Sensible et émouvant, le violon de Norbert Brainin relève d’une mention spéciale lors des mouvements impairs. Le troisième, «Solo», à l’apogée de la partition, lui est dédié: il en révèle toute la profondeur et la beauté diaphane, sa voix exquise dans un suraigu mélodieux d’une douceur extrême.
Par sa grande réussite esthétique et l’excellence et l’originalité de sa facture, le Troisième Quatuor devrait attirer les formations de tous horizons mais ce sont principalement les formations britanniques qui s’y penchent. Si la retenue bouleversante des Amadeus élève le Quatuor en digne héritier d’une lignée séculaire, les Lindsay en soulignent le caractère progressiste, leur style plus charnu, plus ample et plus pugnace. Les quatuors plus jeunes en accentuent plus volontiers les rythmes, la virulence corrosive et le burlesque sans vergogne, les Maggini avec un lyrisme plus lourd peut-être aux mouvements impairs. Les Belcea en donnent une interprétation vibrante, finement équilibrée, leur jeu incisif, brillant, leur vision belle et d’une acuité fort appréciable. Devant l’intériorité et l’intensité intelligente des Amadeus, que l’on peut préférer, on n’oublie pas qu’ils ont travaillé en collaboration avec le compositeur, dont le décès est survenu quinze jours à peine avant la création.
Le second volet du concert propose un pilier du répertoire: le Quatorzième Quatuor de Schubert, «La Jeune fille et la Mort», justement célèbre. Le Quatuor Amadeus l’interprète avec autant d’engagement et de conviction que pour l’œuvre nouvelle qu’il défendait, la touche des quatre instrumentistes incisive mais tout aussi fine, leur sensibilité aussi profonde. Le mélomane aura ses préférences interprétatives pour ce Quatuor tant aimé et estimé, et si souvent joué, mais quelles qu’elles soient, il trouvera ici une version inspirée, les exigences de la musique pure respectées et la poésie intacte. Peut-être un peu plus rapide que certaines interprétations à l’exception d’un Scherzo voué à la grâce, celle des Amadeus restitue toute l’élégance déliée de l’œuvre et en affirme le tragique avec une gravité retenue tout à fait lumineuse.
Christine Labroche
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