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09/04/2010
Niccolò Paganini : Caprices, opus 1

Julia Fischer (violon)
Enregistré à l’August Everding Saal de Munich (1-5 septembre 2008 & 8-9 avril 2009) – 79’42
Decca 478 2274 (distribué par Universal) – Notice de présentation en français, anglais et allemand






Niccolò Paganini : Caprices, opus 1 (deux versions)
Tedi Papavrami (violon)
Enregistré en studio au Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan (1997) et en concert au Nikkei Hall de Tokyo (19 avril 2001) – 72’34 (concert) + 74’19 (studio)
Un double album Aeon AECD 0985 (distribué par Harmonia mundi) – Notice de présentation en français et anglais






Niccolò Paganini : Caprices, opus 1
Mayuko Kamio (violon)
Enregistré à l’American Academy of Arts and Letters de New York (19-22 février 2009) – 78’56
RCA Red Seal 88697 44944 2 (distribué par Sony BMG) – Notice de présentation en français, anglais et allemand





La discographie des Vingt-quatre Caprices pour violon seul (1802-1817) de Niccolò Paganini (1782-1840) vient s’enrichir de quatre nouvelles versions, dont le moins que l’on puisse dire est qu’aucune n’est ratée ni entachée d’un grave défaut. Preuve supplémentaire de la richesse d’une œuvre où nombre d’options interprétatives sont admissibles. Quatre versions fort différentes – par trois violonistes seulement – et des durées variant de soixante-douze à près de quatre-vingt minutes. A l’issue de l’écoute comparée – et bien que tous ces enregistrements confirment le mot de Balzac («... ce que Paganini avait dans son archet, une puissance magnétiquement communicative») –, quelques conclusions s’imposent: la version la plus originale – mais qui divisera à coup sûr – est celle de Julia Fischer, dont l’approche de l’œuvre – suprêmement réalisée – apporte une belle pierre au jardin des gravures indispensables du recueil (dans cet arc-en-ciel de cordes allant de Michael Rabin – chez EMI – à James Ehnes – chez Telarc comme chez Onyx); l’engagement de Tedi Papavrami en concert mérite plus d’attention que son excellence en studio; on découvre, enfin, que Mayuko Kamio est une violoniste remarquable et une artiste à suivre. D’une manière générale, on doit également constater que les deux femmes retiennent davantage l’attention que les deux versions masculines.


Julia Fischer (née en 1983), étoile montante du violon, enregistre son deuxième disque pour le label Decca (lire la critique du premier). Disque magistral, presque dogmatique par sa cohérence et son aboutissement, qui respire l’équilibre (Neuvième Caprice) et la rondeur du son (Dixième Caprice) tout en déployant une sidérante variété de ton. Comme ConcertoNet le relevait déjà en concert à propos du Deuxième Caprice (lire ici), la violoniste allemande «dramatise le propos tout en insufflant […] une musicalité et une élégance que l’on n’attend pas nécessairement dans ce répertoire». Il faut dire que Julia Fischer n’a pas peur des effets (à l’image des brumes qui s’échappent d’un Sixième Caprice joué avec sourdine, intimidant ballet des ombres qui laisse soufflé et transi) et sait varier les plaisirs comme les émotions (quelle longueur d’archet dans le vibrato du Quatrième Caprice, dénué de romantisme, émouvant par le regard porté vers Bach…).


On pourrait en dire autant des Troisième et Onzième Caprices, comme du Vingtième que Julia Fischer choisit parfois comme bis (lire ici). Par ailleurs, le choix de tempos – souvent sages – lui permet d’affirmer ses qualités supérieures de justesse et une grande propreté dans l’articulation, y compris dans les pièces où celles-ci sont généralement le plus mises à mal (Huitième ou Treizième Caprice). Au total, une gravure anti-virtuose, qui renouvelle la vision de ce recueil où l’on se surprend à découvrir sous un autre jour le Cinquième Caprice – aux gammes moins ébouriffantes que d’usage – ou encore le Dix-neuvième – dont la furia centrale assaille comme jamais. Seul point noir: une notice légèrement délirante où Tobias Haber ne craint pas d’affirmer que Julia Fischer «rend, avec cet enregistrement, au compositeur Niccolò Paganini ce qu’il avait en quelque sorte perdu au cours des deux cents dernières années: son importance en tant que musicien révolutionnaire». Voilà qui semble un tantinet exagéré...


Aux antipodes de la version de l’interprète allemande, celles de Tedi Papavrami (né en 1971) respirent la passion et l’engagement extrêmes. Le violoniste albanais, qui multiplie les talents (musicien, traducteur, acteur) et dont on a déjà salué les autres disques chez Aeon (lire ici, ici, ici et ici), ne fait décidemment rien comme les autres. Ainsi livre-t-il, dans le même album, deux versions – une en studio (sept minutes plus rapide que celle de Julia Fischer), l’autre en concert – d’une œuvre qui lui est particulièrement chère («ce fut avec une certaine surprise qu’arrivant à l’âge de onze ans en France, où je me présentai avec la quasi totalité des Caprices et plusieurs autres œuvres de Paganini, je perçus pour la première fois une vague moquerie dans les propos des musiciens pour ces pièces que j’avais jusqu’alors placées au panthéon de la création musicale»). Les prises de risques sont souvent sidérantes, notamment dans le live: un vrai concert d’où n’est gommé aucun détail (telles les assises de notes au début de certains caprices). Le fol engagement du concert explique peut-être que la version de studio – réalisée avec un grand sérieux dans le montage (sept jours d’enregistrement en deux périodes séparées de deux semaines chacune) – captive moins et paraît presque inutile.


C’est que le Paganini de Papavrami a la fougue et la véhémence des virtuoses (l’assise ahurissante de la terrifiante partie centrale du Cinquième Caprice, jouée en deux minutes et vingt-deux secondes lors du concert... contre vingt-trois secondes de plus en studio et vingt-quatre chez Julia Fischer), ne cherchant pas à construire la même cathédrale sonore que l’interprète allemande comme le reconnaît implicitement le violoniste albanais dans la notice («[j’ai] pour but de livrer une version aérée et musicalement structurée de ces pièces qui me semblaient parfois tomber dans une certaine abstraction instrumentale»). On salue tout autant l’agilité du coup d’archet (tonique et souple comme une gymnaste roumaine dans les diaboliques combinaisons du Quatrième Caprice, d’une vivacité incomparable dans le Dix-septième) que la théâtralité des effets (un Troisième Caprice comme une pièce de théâtre, un Cinquième débutant par une introduction fantomatique et un Dixième s’emballant dans une chevauchée fantastique).


Mais, au jeu de l’écoute comparée, on se doit d’indiquer que des approximations techniques (dérapages de justesse ou de toucher de cordes) sont à déplorer dans le jeu de Tedi Papavrami (plus perceptibles à certains moments qu’à d’autres, comme entre les Sixième et Dixième Caprices). Dans l’engagement du direct, ce n’est pas vraiment gênant – la folie de l’œuvre n’en est que mise en valeur, à l’image de la véhémence du Septième Caprice. En revanche, cela n’aide pas à s’attacher à la version de studio, qui sonne globalement plus monotone. Surtout, écoutés à la suite, les Vingt-quatre Caprices de Papavrami semblent se succéder sans logique évidente, manquant de cohérence d’ensemble en comparaison du disque de Julia Fischer, inégaux dans la réussite (des Huitième et Quatorzième Caprices un peu en-dessous). Bref, une vision de l’œuvre exaltant le caractère virtuose et la férocité des traits, qui – pour personnelle qu’elle soit – n’offre pas de regard nouveau sur la partition.


Quant à la benjamine de cette confrontation au sommet des Caprices de Paganini – Mayuko Kamio (née en 1986) –, elle fait pour le moins bonne figure. On admire d’emblée la technique de la violoniste japonaise, tout à fait accomplie en terme de justesse comme de plénitude de la sonorité (quelle homogénéité du son, idéalement réparti entre les quatre cordes – à l’image d’un Huitième Caprice d’une densité inouïe), vraiment impressionnante de régularité (la perfection du bras droit dans le Premier ou le Quinzième Caprice, les doigts endiablés de la main gauche dans le Treizième ou le Cinquième Caprice, qu’elle aussi exécute elle aussi en deux minutes et vingt-deux secondes!). On a eu peur, pourtant, de n’avoir à faire qu’à une machine à jouer... crainte renforcée par une pochette où la jolie jeune femme apparaît dans cinq photos et trois tenues différentes (l’ensemble jean-pull décontracté, la tenue de soirée scintillante, la robe noire de concert...).


L’écoute du disque a vite rassuré quant à la réalité du talent et de la sensibilité artistique de la Japonaise, dotée d’exceptionnelles qualités d’articulation (la véhémence du Dixième Caprice) et de puissance (les trilles du Neuvième Caprice, l’animation enivrante du Dix-neuvième). Par moments, on sent même poindre de la révolte ou du délire, dans les dernières pièces surtout. D’une manière générale – et à l’exact opposé de la version Papavrami dont on décroche progressivement –, on doit reconnaître que Mayuko Kamio intéresse de plus en plus au fil de ses Caprices. Toutefois, la sensibilité de cet archet juvénile doit encore gagner en véhémence, en spontanéité ainsi qu’en émotion – une émotion qu’on suspecte parfois de manquer de naturel, malgré la générosité du vibrato (dans la touchante partie centrale du Quatrième Caprice, par exemple). Une violoniste à suivre en tout cas, qui offre des Caprices de Paganini une gravure conforme au style dominant d’interprétation du recueil, qui peut constituer un premier choix en bien des aspects.


Le site de Julia Fischer
Le site de Mayuko Kamio
Le site de Tedi Papavrami


Gilles d’Heyres

 

 

 

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