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08/18/2010 Klaus Huber : Ein Hauch von Unzeit VIII – Transpositio ad infinitum – Lazarus (*) – Rauhe Pinselspitze (#) – ...ruhe sanft... in memoriam John Cage – Partita (**)
Alexis Descharmes (violoncelle), Sébastien Vichard (piano [*], clavecin [**]), Jean-Baptiste Leclère (buk) (#)
Enregistré à la Salle Liebermann, Opéra Bastille, Paris (24-26 août 2009) – 61’36
aeon AECD 1089 (distribué par Harmonia mundi) – Notice de présentation en français et en anglais de Brian Ferneyhough et Alexis Descharmes
Chambriste, directeur artistique de l’ensemble Querendo invenietis, membre de l’ensemble Court-Circuit depuis 1998 et de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris depuis 2006, le jeune violoncelliste Alexis Deschamps s’intéresse vivement – mais non exclusivement – à la musique de notre temps; il est très actif en ce domaine et ajoute à ses nombreuses prestations l’honneur d’être déjà dédicataire d’une trentaine d’œuvres contemporaines de compositeurs parmi lesquels on peut citer Mantovani, Fedele, Hurel ou Saariaho. Après celles de Franz Liszt et de Kaija Saariaho, il rend hommage ici à Klaus Huber en se consacrant à une intégrale de son œuvre pour violoncelle, six pièces, pour violoncelle seul ou accompagné, écrites entre 1954 et 1992.
Humaniste à double sens dont chaque œuvre est «une réflexion précise et toujours renouvelée sur le rapport des langages contemporains et du monde réel, imparfait, dans lequel ils existent» (Ferneyhough), Klaus Huber (né en 1924) investit ses compositions d’une spiritualité vibrante mais discrète, porteuse d’un encouragement à une saine prise de conscience de la condition humaine. Malgré une grande force directive, la subtilité reste le maître-mot. L’intériorité des compositions pour violoncelle exige une attention appuyée, largement récompensée. Les procédés d’écriture d’une modernité parfois radicale ne prennent jamais le pas sur l’élément humain et le caractère de leur beauté forte et fragile émeut et convainc. Ein Hauch von Unzeit (1972) est une méditation musicale sur le douloureux lamento du Didon et Enée de Purcell («When I am laid in earth») et porte le sous-titre «Plainte sur la perte de la réflexion musicale». Elle énonce d’emblée les dix notes de la basse obstinée qui se déconstruit petit à petit jusqu’à sa négation dans l’aigu. A l’origine pour flûte seule ou accompagnée, et destinée à la transcription «pour tout instrument capable d’en adapter les idiomatismes», la Plainte a donné lieu à plusieurs versions. La huitième, pour violoncelle seul, a inspiré à Descharmes cette variante en canon pour quatre violoncelles en re-recording tout à fait probante.
Alexis Descharmes avait déjà enregistré la deuxième œuvre du programme qui figure parmi les douze pièces pour violoncelle seul sur le nom de Sacher (mib-la-do-si-mi-ré), commandes de Rostropovitch à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du mécène et chef d’orchestre. L’aventureux Transposito ad infinitum (1976) présente une série de huit séquences dérivées d’une transposition en spirale des six notes tuilées du thème imposé. De tempo unique, rapide, ce sont les variations sur les rythmes, les modes de jeu et la puissance sonore qui distinguent les différents mouvements brièvement séparés par de courts intermèdes plus libres qui prennent un appui poétique sur le prénom Paul, les consonnes menant à des épisodes plus expressifs (Piano et Lento) et les voyelles au mystère lyrique de sons harmoniques et subharmoniques (Aliquote et Untertöne). La conviction de Descharmes ne fait pas de doute et il communique avec une souplesse heureuse son attachement à une partition plus largement cérébrale que l’on pourrait trouver austère.
Suivent trois pièces de dimensions plus modestes. Lazarus (1978) associe le violoncelle au piano pour illustrer indirectement un poème du Nicaraguayen Ernesto Cardenal. Profondément humain, le portrait musical des souffrances de Lazare se divise en deux parties, la première un refus symbolique du confort du beau son – modes de jeu dénaturés, brisés et instables – la seconde un beau son éclaté en miettes plus doucement poétiques. L’adresse et la sensibilité des deux instrumentistes mettent en valeur le relief de l’œuvre tout en renforçant sa cohérence. D’à peine plus de deux minutes, Rauhe Pinselspitze célèbre les soixante-quinze ans d’Isang Yun par son instrumentation coréenne. Pour kayagum à douze cordes et buk, tambour à deux peaux, Huber en créa deux autres versions, l’une pour violoncelle seul (en pizzicato) et la seconde, proposée ici, pour violoncelle et buk. Les fragrances coréennes naissent grâce à l’accord original du kayagum qui permet une gamme modale en tiers de ton. Les sonorités agréablement nouvelles font regretter qu’aucune pièce de semblable facture n’ait suivi cette miniature engageante. Requiem onirique à la mémoire de John Cage, l’émouvant ...ruhe sanft... (1992) pour quatre violoncelles en re-recording devient un exercice difficile dans la mesure où l’instrumentiste doit assurer la trame vocale qui rythme la pièce par une respiration strictement mesurée, émaillée de brefs appels sur le souffle lancés au disparu. Le timbre de la voix grave d’Alexis Descharmes, sa musicalité et sa dextérité technique confrontée aux diapasons différents des quatre violoncelles, chacun en scordatura, confèrent un naturel confondant à une partition délicate tout en tiers et sixièmes de tons et d’une éloquence remarquable.
Descharmes place en fin de programme les six mouvements sans titre de la Partita de 1954 qui allie les couleurs moelleuses du violoncelle à celles plus piquantes du clavecin. C’est une œuvre de relative jeunesse, d’une fraîcheur énergique, charmante et pleine de promesse mais son style néoclassique la tient quelque peu éloignée de ce qui caractérisera par la suite la musique de pleine maturité du compositeur. La prestation du violoncelliste alterne vigueur et lyrisme avec autorité et celle de son complice de longue date, le pianiste Sébastien Vichard, pimente la partie de clavecin avec bonheur.
A l’exception de Transposito ad infinitum et Lazarus, il s’agit de premiers enregistrements mondiaux. La prise de son, peut-être un peu sèche, est claire et détaillée. Klaus Huber trouve en Alexis Descharmes un interprète doué et sérieux, apte à «révéler la pleine transcendance de [sa] musique». Ainsi, l’ensemble ne peut manquer d’intéresser les amateurs de violoncelle, les mélomanes férus de musique de notre temps aux horizons ouverts et tous ceux sensibles au pouvoir universel, humain et unificateur, de la musique.
Le site de Klaus Huber
Le site d’Alexis Descharmes
Christine Labroche
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