Back
08/13/2010 Johann Nepomuk Hummel : Mathilde von Guise
Kristine Gailite (Mathilde), Philippe Do (Beaufort), Pierre-Yves Pruvot (Le duc), Hjördis Thébault (La baronne), Eva Susková (Claudine), Ondrej Saling (Valentin), Martin Mikus (Nicolas), Marian Olszewski (Leszensky), Chœurs Alea, Branislav Kostka (chef de chœur), Solamente Naturali, Didier Talpain (direction)
Enregistré dans les studios de la Radio slovaque (septembre 2008) – 102’09
Coffret de deux disques Brilliant Classics 94043 (distribué par Abeille musique) – Notice en anglais de Didier Talpain
Encore une occasion de tordre le cou à une idée reçue… De même qu’Albinoni n’a pas composé qu’un Adagio, Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) n’est pas seulement l’auteur d’un célébrissime Concerto pour trompette qui, notamment parce qu’il a été interprété à maintes reprises par Maurice André, figure aujourd’hui au nombre des passages obligés pour tout trompettiste! Hummel fut un élève de Mozart, mais aussi de Haydn et de Salieri, mais il n’eut pas leur génie, tant s’en faut. Goethe n’écrivait-il d’ailleurs pas: «Napoléon traitait le monde comme Hummel son piano. Leur manière semble, à tous deux, impossible; nous comprenons aussi peu l’une que l’autre, et pourtant on ne peut en nier les effets» (entretiens de Goethe et d’Eckermann)? Auteur de plusieurs œuvres concertantes (pour trompette, mandoline, piano et violon notamment), il est également le compositeur d’une quinzaine d’opéras dont ce Mathilde von Guise (1810). La partition fut révisée en 1821 pour être représentée à Weimar, le chant passant à cette occasion de l’allemand à l’italien. Seul opéra de Hummel à avoir été publié de son vivant, il a connu une certaine faveur du public puisque sa musique a circulé dans toute l’Europe sous forme de réduction pour piano.
Mathilde von Guise a été composé sur la base d’un livret d’Emmanuel Mercier-Dupaty (1775-1851), auteur de vaudevilles et d’opéras comiques, élu à l’Académie française en 1836 par 15 voix contre 9 à un certain Victor Hugo... Longtemps tombé dans l’oubli, il a été redécouvert pour finalement être représenté à l’Opéra de Saint-Etienne en novembre 2008, grâce notamment au soutien de l’Association d’amitié franco-slovaque. Faisant appel aux meilleurs connaisseurs de l’œuvre, Brilliant a eu la bonne idée de confier à la même équipe le soin de le graver pour le disque.
Située au XVIe siècle, l’intrigue est simple. En partie inspirée de la réalité historique, elle narre la volonté qu’avait le duc de Guise, frère de Mathilde, de marier cette dernière au roi de Pologne pour des raisons strictement diplomatiques. Or, comme on pouvait s’y attendre, Mathilde est amoureuse d’un autre homme, le comte de Beaufort, qui n’est autre que le secrétaire du duc et qui, pour simplifier les choses, est secrètement aimé en retour par la baronne de Guise. Passons rapidement sur l’apparition des personnages secondaires (Nicolas, soldat attaché à la protection de Mathilde, père de Claudine qui finira par épouser Valentin) pour dire que tout se finit bien, le roi de France (qui n’apparaît pas dans l’opéra) gratifiant Beaufort du titre de duc en récompense de ses exploits guerriers et donnant son assentiment à son mariage avec la belle Mathilde de Guise.
Comme d’autres compositeurs avant et après lui, Johann Nepomuk Hummel a tout d’abord le mérite de parvenir à composer une musique qui se tienne sur la base d’un livret insipide: la tâche n’était pas mince! L’orchestre est étoffé: outre les cordes, celui-ci comporte en effet des flûtes, hautbois, clarinettes (quatre!), bassons, trompettes, cors, un trombone et des timbales. Très bien enregistré, l’ensemble Solamente Naturali n’est pas connu mais recèle de véritables qualités musicales: les cuivres dans l’ouverture (le présent disque nous offrant d’ailleurs en bonus la version originelle de 1810 de cette ouverture), les clarinettes dans l’aria de Mathilde «O ciel, che intensi mai?» à l’acte II, les cors dans le chœur débutant le final du deuxième acte. Même si l’ensemble demeure perfectible (les accrocs du cor solo au début du premier acte), la musique, dont les sonorités rappellent aussi bien certaines pièces orchestrales (Méhul pour la seule ouverture) que certains opéras de Rossini, Donizetti ou même Schubert (Alfonso und Estrella par exemple), a fière allure sous la direction très impliquée de Didier Talpain. La dynamique insufflée par le jeune chef français touche l’ensemble des protagonistes; à ce titre, on soulignera la contribution essentielle du chœur Alea («Il ciel le dia felicità» à l’acte I ou l’hymne «Padre nostro, gran signor» à l’acte III).
Les chanteurs sont également de très bon niveau et servent l’œuvre avec enthousiasme. On commencera naturellement par l’héroïne du drame, Mathilde de Guise, dont le rôle est ici chanté par Kristine Gailite. Même s’il lui arrive d’intervenir seule, on retient surtout ses duos avec Beaufort où le chant est étincelant de malice et de verve («Mi fà felice amor» à l’acte I et le très beau «O ciel! Resistere non posso» à l’acte III). Philippe Do campe un Beaufort de belle prestance. Archétype du ténor plongé dans le répertoire belcantiste, il soutient vaillamment sa partie, qu’il chante seul (dans la très belle aria «Chi mai saprà spiegar» à l’acte I) ou avec ses partenaires (dans le trio final du premier acte par exemple). La mezzo Hjördis Thébault est certainement celle dont le chant nous rapproche le plus des héroïnes rossiniennes (notamment lors de son entrée dans le terzettino «Con lui solo parlero» au premier acte); quant à Pierre-Yves Pruvot, il chante avec puissance le rôle du duc, convaincant au même titre que les autres chanteurs de l’équipe.
Au total, une superbe gravure qui vient sortir de l’oubli (Piotr Kaminski ne mentionnant même pas le nom de Hummel dans sa monumentale somme Mille et un opéras!) un ouvrage dont les mérites sont nombreux. Bravo à l’éditeur Brilliant de sortir ainsi des sentiers battus, surtout lorsque ces découvertes sont défendues avec autant de conviction et de réussite que dans ces deux disques!
Le site de l’orchestre Solamente naturali
Le site de Kristine Gailite
Le site de Philippe Do
Le site de Hjördis Thébault
Le site de Pierre-Yves Pruvot
Le site d’Ondrej Saling
Sébastien Gauthier
|