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07/28/2010
Enrique Granados : Valses poéticos, opus 10 – Danzas espanolas opus 31, n° 5, 7 et 10 – Goyescas, première partie, n° 1 à 4
Domenico Scarlatti : Sonate dans un arrangement de Granados

Enrique Granados (piano)
Enregistré en 1913 – 59’56
Tacet 139 (distribué par Intégral) – Notice en anglais, allemand et français






Les compositeurs sont-ils mieux servis par eux-mêmes ? La question est à vrai dire ancienne. Pour le passé lointain, il faut s’en remettre aux témoignages de l’époque: Schubert n’arrivait pas à jouer ses sonates, Schumann était un pianiste raté et un piètre chef d’orchestre tandis que Beethoven, Chopin, Alkan et Liszt éblouissaient leurs publics. La réponse à la question n’est donc évidemment pas univoque. Pour la période récente, on dispose d’enregistrements. Souvent, ils permettent de reconnaître que les compositeurs sont leurs meilleurs interprètes : pensons aux disques de Bartók, Rachmaninov, Mompou, Britten ou encore Stravinsky, opportunément enregistré, in extremis, par CBS dans les années soixante. Mais pas toujours...


Cependant si le disque permet d’aborder une partie du sujet – certains compositeurs détestant le studio d’enregistrement ou, à l’inverse, le concert –, il pâtit, pour le début de son histoire, souvent des conditions archaïques d’enregistrement que certains traitements, certains «nettoyages», ne parviennent pas vraiment à sauver et ne permet donc pas de porter un jugement étayé sur la valeur artistique de l’interprétation d’œuvres par leur compositeur.


L’éditeur Tacet contourne la difficulté en n’exhumant pas pour le présent disque une vieille cire crachotant mais en réutilisant une technologie abandonnée. Il débute en effet avec lui une série de volumes consacrée au système Welte-Mignon développé à partir de 1904 par Emil Welte (1841-1923) aux Etats-Unis consistant à faire jouer un piano Steinway moderne par un appareil lourd, complexe et autrefois coûteux placé sur son clavier et comportant des marteaux, sortes de doigts mécaniques, actionnés grâce à la lecture de trous réalisés dans un rouleau de carton ayant fixé le jeu d’un interprète, les trous correspondants aux touches du piano à jouer, leur grosseur indiquant l’intensité de la frappe, et d’autres correspondants à l’usage des pédales. La notice explique fort bien qu’il ne s’agit donc pas d’un enregistrement sonore historique nettoyé mais de la réutilisation d’une technologie du début du vingtième siècle délaissée avec l’avènement du microsillon. Pianola, nom plus connu, était en fait tout simplement une autre marque de piano pneumatique, le système ayant fini par inspirer des créateurs comme le génial Nancarrow qui faisait directement des milliers de petits trous dans le carton pour obtenir des créations injouables par un être humain.


Le premier disque de la collection est confectionné à partir des rouleaux ayant mémorisé, en 1913, le jeu d’Enrique Granados lui-même, dans ses œuvres. Debussy, Gershwin, Ravel et Scriabine ayant également joué sur un Welte-Mignon, on peut penser que l’éditeur poursuivra sa série par ces noms après les volumes annoncés sur Felix Mottl et Richard Strauss. Rudolf Serkin fut en tout cas le dernier à être enregistré de cette façon en 1928 et 2500 titres musicaux auraient été fixés ainsi avant la Première Guerre mondiale, essentiellement de musique classique. La mine est donc fort riche. Il suffit d’en extraire les pépites au moyen d’appareils restaurés.


Evidemment, le son est ici parfait. C’est celui d’un piano d’aujourd’hui, enregistré avec les techniques d’aujourd’hui. On peut cependant être déçu par le résultat artistique, sans être totalement rassuré au passage sur sa fiabilité, les rouleaux utilisés ayant pu faire l’objet, après tout comme les bandes d’aujourd’hui, de petits arrangements lors de leur fabrication... Rien à dire globalement sur les tempos, sur les pianissimos, assez fins, et évidemment sur la clarté des phrasés. Mais les nuances sont pauvres, le jeu est sec, pour éviter le mot de mécanique par trop tautologique, les doigts de bois et de feutre quittent rapidement et brutalement les touches, et surtout la profondeur du jeu, les harmoniques, les graves et forte sont comme écrasés, certains passages paraissant carrément bousculés. On reste très loin des interprétations légendaires des Goyescas par Alicia de Larrocha, élève d’un disciple de Granados, ayant eu accès à des partitions annotées de la main du maître (RCA, 1990). Il y a là une élégance, une subtilité, une fantaisie, une puissance même, que l’on ne retrouve pas dans le présent disque qui semble fabriqué aux moyens de rouleaux enregistrés à la chaîne. El fandango de candil, parfois confus, paraît se traîner chez Granados ; il est lumineux et délicieusement déhanché chez de Larrocha.


Bref, une curiosité qui n’autorise probablement aucun véritable jugement sur le jeu du virtuose qu’était Enrique Granados, mort en 1916 en voulant sauver sa femme de la noyade à la suite du torpillage du Sussex au retour des Etats-Unis où il avait joué devant le Président Wilson, au même titre que cette sonate de Domenico Scarlatti arrangée par Granados à partir de manuscrits originaux aujourd’hui perdus.


Stéphane Guy

 

 

 

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