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07/28/2010 James MacMillan: St John Passion
Christopher Maltman (baryton), London Symphony Orchestra and Chorus, Sir Colin Davis (direction)
Enregistré en public au Barbican, Londres (27 avril 2008) – 90’17
Album de deux disques LSO Live SACD LS00671 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en anglais français et allemand de l’Archevêque de Canterbury et du compositeur, texte intégral en anglais et en latin
Le parcours de James MacMillan et l’évolution de son œuvre tendaient en toute logique vers la composition d’une Passion. Selon le compositeur lui-même, l’intime conviction qu’un tel choix était tôt ou tard inévitable datait de la création en 1993 de la cantate Seven Last Words from the Cross et en 2007 naissait l’une de ses partitions majeures, la monumentale St John Passion.
«Catholique», dans le sens du religieux comme dans le sens de l’universel, serait peut-être le qualificatif qui décrirait le mieux la musique du compositeur et chef écossais James MacMillan (né en 1959), musicologue et ethnomusicologue profondément croyant et socio-politiquement engagé. Ses recherches musicales et ses convictions personnelles embrasent son œuvre, déjà important, comme l’indiquent clairement des pièces telles Búsqueda, Cantos sagrados, Seinte Mari Moder Milde ou encore The Confessions of Isobel Gowdie. Son style souvent expressionniste, reste loin du polystylisme mais révèle néanmoins l’influence de sources aussi extrêmes que le chant grégorien et le gamelan. (Il accorde à la percussion un rôle important savamment réparti). Le tonal se mêle au chromatique, voire à l’atonal. On y entend modes et motifs de son pays natal, frottements harmoniques qui font penser à Ligeti ou à Gesualdo, empilements à la Ives ou à la Birtwistle, contrepoints complexes finement travaillés, thèmes mélodiques proches de la complainte celte ou d’une économie éthérée à la Pärt, et de puissants déferlements cataclysmiques d’une énergie toute lindbergienne. L’ensemble révèle une coloration et une charge émotionnelle partagées par ses aînés russes – on pense fugitivement à Schnittke ou à Goubaïdoulina, leur sentiment religieux tout aussi profond, et peut-être même aux audaces d’un Chostakovitch. Au-delà d’influences réelles ou apparentes, l’essentiel en reste son originalité et la grande cohérence de sa vision personnelle.
Les compositions plus récentes de James MacMillan touchent principalement à quatre domaines: l’abstrait (la Troisième Symphonie, 2002, le Concerto pour violon, 2010), les légendes poétiques anciennes des Iles britanniques (The Birds of Rhiannon, 2001, The Sacrifice, 2006), le métaphysique (The Quickening, 1999, Sun-Dogs, 2006) et le spirituel parfois liturgique (Mass, 2000, St John Passion, 2007). Le point commun des quatre, c’est le déroulement dramatique. Le sens du récit semble inné chez MacMillan et la St John Passion narre le sort terrible d’un homme de conviction face à l’autorité et à la foule déchaînée tout autant que le sujet religieux. Le récit se structure en deux parties respectivement de six et de quatre volets; la première partie prend fin le mont Golgotha atteint, la seconde se termine sur un volet de musique pure, magnifique conclusion et digne commentaire d’une tragédie universellement ressentie. MacMillan met en musique les chapitres XVIII et XIX de l’Evangile selon saint Jean en anglais jusqu’au verset 30 («et il rendit l’esprit») auxquels il intègre, aux moments dramatiquement propices, un extrait du Stabat mater, un court poème de fragrance celte de son invention et les «Improperia» de la liturgie catholique du Vendredi Saint. Un texte biblique en latin s’offre en contrepoint méditatif à chaque volet. Le compositeur déploie tous les aspects contrastés de son talent musical pour caractériser les différents protagonistes du drame et pour mettre en relief un tourment noble aussi profondément humain que céleste.
L’œuvre est écrite pour baryton, chœur de chambre, chœur et orchestre. Le baryton incarne le Christ, sa qualité de soliste unique rehaussant l’importance et la solitude de cette figure emblématique. Le propos est direct ou exprimé dans un style orné de réminiscence grégorienne. Le rôle qui échoue au premier chœur, réduit à quatorze membres (5.3.3.3), est celui de l’évangéliste, le récitant. C’est un récitatif classique aux échos Renaissance et aux intervalles à la Britten. Comme un chœur antique, le chœur se tient côté jardin alors que le grand chœur se trouve à la place plus habituelle derrière l’orchestre. Le chant du grand chœur symphonique, puissant et expressif, varie d’une douceur miséricordieuse à de stridentes dissonances. Il incarne tous les autres protagonistes – Pierre, Pilate, les prêtres, la foule, les soldats – le chœur massé, cloisonné (voix d’hommes, voix de femmes) ou à pupitres hautement divisés selon les exigences non pas tant du récit que de la structure dramatique et de la psychologie de la caractérisation. La maîtrise de l’écriture de MacMillan pour les voix se montre tout particulièrement impressionnante lors des tuilages extrêmes de la foule vengeresse, l’orchestre en contrepoint violent.
Le traitement expressionniste de l’orchestre est assez spécial. Malgré la puissance des assauts, les textures restent transparentes peut-être parce qu’il n’est pas rare que les forces orchestrales se déploient par groupes restreints de même famille. Les fanfares et les résonances cuivrées n’en perdent rien de leur mordant, la percussion rien de son autorité sèche ou du tonnerre de ses annonces et la poignante discrétion des cordes et de l’orgue positif s’en trouve accrue. L’orchestre soutient discrètement le chant, ponctue le récit, s’attendrit, menace, gronde, éclate mais son rôle principal est celui du commentateur qui souligne la menace, l’horreur de l’injustice et de la sentence, la tendresse des femmes impuissantes et la réaction émotionnelle du témoin initialement indifférent.
L’enregistrement en direct se fit lors de la création à Londres en avril 2008. L’interprétation de Christopher Maltman, baryton au large vibrato, s’est affinée au fur à mesure de la représentation, sa prestation gagnant en chaleur en en sensibilité, le timbre de sa voix plus rond et plus stable. L’expérience de Sir Colin Davis dans le domaine de l’oratorio et de l’opéra souvent à effectif important – on pense au Requiem de Berlioz – faisait de lui le chef tout désigné pour cette œuvre nouvelle de grande envergure. L’Orchestre symphonique de Londres grossit parfois le trait mais réussit la mise en place délicate d’une orchestration complexe intégrée aux chœurs. La prestation des membres du Chœur symphonique de Londres en petite et grande formation, précise et d’une grande musicalité, est tout simplement remarquable.
Dédiée à Sir Colin Davis dans l’année de son quatre-vingtième anniversaire, la St John Passion est aussi un témoignage de l’admiration et de l’estime que le compositeur conçoit pour «l’un des plus grands musiciens de ce pays, et pour la manière extraordinaire dont il a servi la musique pour nous tout au long de sa vie». On sent chez James MacMillan un même désir de servir la musique pour les autres, exécutants ou auditeurs, et, que l’on apprécie pleinement cette œuvre ou non, on ne peut rien lui enlever de sa force exceptionnelle, de sa conviction et de sa profonde sincérité. Il laisse souffler sur ce genre musical de grande tradition un vent nouveau, porteur d’espoir.
Le site de James MacMillan
Christine Labroche
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