Back
07/23/2010 Nicolaus Bruhns : Das Kantatenwerk (Les cantates, intégrale) : Hemmt eure Tränenflut – Jauchzet dem Herren alle Welt – Wohl dem, der den Herren fürchtet (*) – De Profundis – Paratum cor meum (§) – O werter heil’ ger Geist – Die Zeit meines Abschieds ist vorhanden – Erstanden ist der heilige Christ (§) – Der Herr hat seinen Stuhl im Himmel bereitet – Ich liege und schlafe – Mein Herz ist bereit – Muss nicht der Mensch
Ludwig Busbetzky : Erbarm dich mein
Greta De Reyghere, Jill Feldmann (*) (sopranos) *, James Bowman (contre-ténor), Guy de Mey, Ian Honeyman (§) (ténors), Max van Egmond (basse), Ricercar Consort
Enregistré au réfectoire des moines de l’abbaye de Stavelot (septembre 1988, janvier et février 1989 [Bruhns]) et en l’église Saint-Apollinaire de Bolland (septembre 1990 [Busbetzky]) – 151’04
Album de deux disques Ricercar RIC 291 (distribué par Harmonia mundi) – Traduction des textes chantés et notice exemplaire trilingues (français, anglais et allemand) de William Heckers et Jérôme Lejeune
Issu d’une famille de musiciens, Nicolaus Bruhns (1665-1697) est, en dépit de la méconnaissance qui entoure encore sa vie et son œuvre, un représentant fondamental du «baroque médian», terme qui désigne, dans le domaine strictement musical, la période 1650-1700. Ayant reçu une triple formation de gambiste, d’organiste et de violoniste, il meurt à l’âge de trente-sept ans à Husum (Schleswig-Holstein), ville où il est organiste depuis 1689. Outre des œuvres pour orgue, il laisse derrière lui plusieurs compositions chorales dont ces douze cantates qui forment une passerelle irremplaçable entre les compositions de Buxtehude et les futures œuvres de Johann Sebastian Bach.
Avant d’entrer dans le détail de quelques-unes des cantates présentées ici, soulignons d’emblée l’excellence des interprètes, à commencer par le Ricercar Consort. Il n’est d’ailleurs pas inutile de remarquer qu’à l’époque de ces enregistrements, Philippe Pierlot était un des trois gambistes, Ageet Zweistra (désormais chef de pupitre de l’Orchestre des Champs-Elysées de Philippe Herreweghe) était au violoncelle, Marc Minkowski était au basson et Bernard Foccroulle était un des deux organistes... Si les musiciens sont excellents, les chanteurs sont également de toute première valeur. Dans la première cantate, Hemmt eure Tränenflut («Arrêtez le flot de vos larmes»), après avoir été charmé par le jeu des violons dans le premier mouvement puis de l’orgue dans le troisième, on écoute ainsi avec un véritable ravissement Max van Egmond rassurer le fidèle d’une voix à la fois douce et claire, signalant ainsi la perspective heureuse qui, même après la mort, attend toute personne qui croit en Lui.
La cantate Jauchzet dem Herren alle Welt ne doit naturellement pas être confondue avec le motet homonyme de Georg Philippe Telemann, œuvre célèbre pour avoir été retravaillée par Johann Sebastian Bach. Egalement fondée sur le Psaume 100, elle ne fait intervenir que la voix d’un ténor; à entendre le résultat, Bruhns a véritablement voulu en faire un morceau de bravoure tant pour le chanteur que pour les musiciens. Ainsi, la dextérité de Guy de Mey dans le premier mouvement (notamment son jeu vocal sur les mots «Jauchzet» et «alle Welt») se voit rapidement doublée par celle, tout aussi remarquable, du violon solo alors que, dans le troisième mouvement, ce sont les motifs élaborés du violon et du basson qui frappent l’auditeur. Dans une atmosphère parfaitement recueillie, la cantate se conclut par un chant apaisé, de Mey exprimant avec une parfaite justesse la louange qu’il convient finalement d’adresser au Seigneur («Danket ihm, lobet seinem Namen!»).
La cantate Wohl dem, der den Herren fürchtet n’appelle aucun commentaire spécifique, la simplicité de la voix allant de pair avec la simplicité du message délivré; quant à la célèbre cantate pour basse De Profundis, on lui préfèrera la version chantée par Stephan MacLeod, beaucoup plus éthérée et touchante (voir ici).
Plus originale est, en revanche, la cantate Paratum cor meum («Mon cœur est prêt»), destinée à deux ténors et une basse. Faisant face à un jeu extrêmement développé des deux violons (leur intervention, dans la troisième partie de la cantate, rappelant même ce que pourrait être un petit concerto de l’époque) et du violoncelle, les chanteurs instaurent une atmosphère joyeuse qui, là encore, est à l’image du message envoyé aux croyants, à savoir une juste et légitime louange adressée au Seigneur. Ce premier disque se conclut par ce qui est peut-être sa plus belle œuvre, en tout cas celle dont la mélodie s’avère la plus recherchée, la cantate O werter heil’ ger Geist («O précieux esprit sain!»), qui fait intervenir les quatre solistes ainsi que deux trompettes, un basson et deux violes de gambe en sus de l’instrumentarium traditionnel. En dehors de la Sinfonia d’ouverture, qui se répètera d’ailleurs à quatre reprise au cours de la pièce, les voix interviennent tour à tour, passant notamment par un magnifique air de basse («O werter heil’ ger Geist») et un air non moins poignant du contre-ténor, («Wenn mein gewissen zagt»), James Bowman étant encore une fois irréprochable.
Première œuvre du second disque, la cantate Die Zeit meines Abschieds ist vorhanden («Le moment de mon départ approche») s’ouvre par une sorte de canon entamé par Bowman, suivi par la basse, la soprano puis le ténor. En dépit de sa brièveté, il s’agit d’une pièce superbe, les violons adoptant encore une fois des couleurs dignes de Corelli, le climat général passant de la ferveur exaltée au recueillement le plus profond. Les deux cantates suivantes, respectivement Erstanden ist der heilige Christ (pour deux ténors) et Der Herr hat seinen Stuhl im Himmel bereitet (pour basse), construites sur le même schéma (des voix enjouées doublées par un accompagnement violonistique extrêmement élaboré), sont deux très beaux morceaux où le divertissement tend, de façon quelque peu étrange peut-être, à prendre le pas sur la sobriété religieuse. Epaulés par des instrumentistes hors pair, Guy de Mey, Ian Honeyman et Max van Egmond servent cette musique avec, encore une fois, tout l’enthousiasme et la ferveur requis.
Œuvre de plus grande recherche, la cantate Muss nicht der Mensch («L’Homme doit-il être perpétuellement en conflit sur cette terre?») met en exergue un riche orchestre (on soulignera la très belle alliance qui existe entre les trompettes et le basson au début de la Sinfonia introductive) et un chœur de quatre voix extrêmement agréable, mêlant tour à tour la contrition, la volonté de lutter contre les malheurs d’ici-bas et la récompense dans l’au-delà pour celui qui a su montrer du courage chez les simples mortels. Plus qu’un message divin, c’est une véritable histoire que nous narrent ici les quatre chanteurs: une indéniable réussite!
Enfin, ce disque se conclut par une cantate non de Nicolaus Bruhns mais d’un certain Ludwig (ou Lovies) Busbetzky, disciple de Buxtehude, décédé en 1699 mais dont on ignore la date de naissance. Présentée dans la notice par Jérôme Lejeune «comme un dialogue entre le Christ sauveur (basse) et l’âme repentante (soprano)», elle présente une grande parenté stylistique avec les œuvres précédemment entendues de Bruhns: importance de la rythmique (dominée ici par le rythme de la sicilienne), jeu existant entre les deux violons solos, dialogue entre les voix et les instruments de musique à défaut, ici, de véritable échange entre les voix elles-mêmes, la basse et la soprano intervenant tour à tour. C’est une pièce très intéressante et fort attrayante qui nous fait d’ailleurs regretter que l’œuvre de Busbetzky soit pour l’instant, faute de source avérée, totalement inconnue.
Nouvel exemple de la politique audacieuse suivie par l’éditeur Ricercar, ces deux disques ont choisi l’originalité, l’âpreté, la complexité pourrait-on dire, afin de faire découvrir à l’auditeur un répertoire peu exploré. Comment ne pas le féliciter lorsque, servi par des interprètes aussi exceptionnels que ceux enregistrés ici, il exhume des œuvres aussi belles sur le plan musical et aussi importantes sur le plan musicologique?
Le site du Ricercar Consort
Le site de Max van Egmond
Sébastien Gauthier
|