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07/18/2010 Eugène Ysaÿe : Sonates pour violon seul opus 27
Rachel Kolly d’Alba (violon)
Enregistré en Suisse (août 2008) – 55’38
Warner Classics WCJ 2564 68385-5 – Notice en anglais et français
Samika Honda (violon)
Enregistré à Troyes (janvier 2010) – 61’
Polymnie POL 110 168 (distribué par Intégral) – Notice en français, anglais et japonais
Les six sonates pour violon seul du virtuose et compositeur belge Eugène Ysaÿe (1858-1931) servent de nos jours essentiellement à de jeunes violonistes sortant des conservatoires à montrer toute leur maîtrise technique ou aux solistes, après leur concerto, pour leurs bis de concert, s’ils veulent bien sortir du rituel peu original des Sonates ou Partitas de Bach. C’est évidemment bien dommage car ces pièces compendieuses, les seules d’un compositeur ubéreux qui n’aient pas été complètement oubliées, valent le détour: la virtuosité y est transcendée dans des pages d’une stupéfiante inventivité. On est loin des acrobaties diaboliques mais un peu vaines, des roucoulades parfois pénibles des vingt-quatre Caprices de Paganini, le langage, bourré de références (notamment à Bach évidemment) mais toujours moderne, tendant constamment vers un ébaudissement des sens.
Il est donc heureux de voir paraître coup sur coup deux enregistrements de jeunes violonistes ayant à cœur de montrer outre leurs talents la richesse de ces pages insuffisamment connues. L’une d’elle, Samika Honda, japonaise sortant du Conservatoire supérieur de musique de Paris, a certes choisi, d’après la notice très pauvre qui accompagne son enregistrement, de présenter lesdites sonates dans un ordre non chronologique, notamment en commençant par la sixième et dernière, dédiée au violoniste espagnol Manuel Quiroga, et en terminant par la première dédiée à Joseph Szigeti, l’enchaînement retenu lui paraissant plus «fluide et original», la somme reste la même, sachant que l’écoute de ces sonates les unes après les autres n’est peut-être pas la meilleure des choses à faire.
Disons-le d’emblée, la lecture proposée par la jeune Suissesse Rachel Kolly d’Alba, formée au Conservatoire de Lausanne, avec son Stradivarius de 1727 est indéniablement remarquable. Il y a là un engagement qui prend, captive, et traduit finalement assez bien le titre figurant sur la pochette: «Passion Ysaÿe». Ce n’est pas une suite d’exercices inanes. Certes la prise de risque est impressionnante au point de malmener la précision et la clarté du discours mais les phrasés sont marqués par une urgence, une verdeur, vraiment jouissives. Malgré le train d’enfer, il y a plus qu’une simple démonstration de virtuosité et la liberté de ton retenue convient parfaitement à ces pages rhapsodiques que l’artiste commente elle-même dans la notice, en omettant au passage de se présenter.
Samika Honda, sur un Pietro Giacomo Rogeri de 1721, est beaucoup plus sage pour son premier disque. Elle présente un son plus métallique, enregistré beaucoup moins près, et l’ensemble paraît au total sans doute moins abouti, moins personnel. Le travail ne manque pas de finesse mais les attaques sont parfois dures et font crisser le crin sur les cordes («Les Furies» de la Deuxième sonate dédiée à Jacques Thibaud). Au fond, sa version pourrait se situer entre celle de Frank Peter Zimmermann (EMI, 1994) très pure, constamment claire, d’une élégance solaire et d’une technique vraiment supérieure mais un peu froide, et celle fantasque et paraissant presque improvisée de Rachel Kolly d’Alba.
Au total, deux approches différentes mais deux disques prometteurs en tout état de cause.
Stéphane Guy
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