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03/19/2010
Morton Feldman : Patterns in a Chromatic Field – Projection I – Composition - 8 little pieces – Intersection IV – Duration II

Arne Deforce (violoncelle), Yutaka Oya (piano)
Enregistré au Concertgebouw, Bruges (décembre 2007) – 105’28
Album de deux disques aeon AECD 0977 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en anglais et en français tirée des écrits de Feldman






L’apparente simplicité de la musique de Morton Feldman n’est que pure illusion recherchée et entretenue par le compositeur qui ne s’appuie pas sur un thème à développer et sur les variations de celui-ci mais sur un nombre limité de notes – trois à cinq sans ordre prédéterminé. Les quelques notes choisies s’organisent en un nombre de motifs porté presqu’à l’infini à travers les modifications, importantes ou infinitésimales, de hauteur, de durée, d’attaque et de technique de jeu, et à l’aide de gradations chromatiques, d’agglutinements ou de vides intervalliques, les repères temporels brouillés, et les rythmes éphémères. Aucun motif n’a la préséance. Le procédé de composition est modulaire mais non organique: les motifs se juxtaposent, se chevauchent, s’empilent, se retournent, se réitèrent mais jamais à l’identique. Sans but précis, hésitante sur le seuil du silence sans jamais le franchir, dynamique seulement par brefs à-coups, la musique dégage un sentiment non pas d’immobilité mais de statisme instable et vivant, de stase, peut-être, comme le dit Feldman lui-même: «J’ai affaire à la stase. C’est gelé, et en même temps, ça vibre


L’œuvre majeure de la sélection, Patterns in a Chromatic Field, en est une parfaite illustration. Les motifs et les fines couleurs de ce champ chromatique s’inspirent des tapis d’orient, et plus particulièrement des tapis artisanaux d’Anatolie à partir desquels Feldman aimait à établir une analogie musicale. La distribution des motifs se fait dans un premier temps au gré de l’instant. L’image en miroir à venir n’en sera jamais la réplique exacte. Les couleurs nées de délicates teintures naturelles varient avec les bains et l’épaisseur des fils et leurs gradations subtiles prennent une vie toute musicale grâce aux différentes combinaisons de sonorités instrumentales, à la nature des sons, grêles ou charnus, à la densité ou à la raréfaction des strates, et à la notation rigoureuse de Feldman qui créera, par exemple, un frottement microtonal entre le motif la, lab, sol, sib du piano et le motif sibb, lab, fa##, la# au violoncelle (non tempéré) en un ni l’un ni l’autre mais presque qui rappelle à la fois son opéra et les retraductions de traductions de Becket qui en nuance ses écrits.


Une certaine notion de temps tout orientale pourrait prédisposer le pianiste Yutaka Oya à l’art feldmanien mais l’interprétation ne peut être autre qu’engagée. Les deux interprètes font preuve du contrôle, de la concentration et de l’endurance nécessaires, le piano de Yutaka Oya au phrasé impeccable et le violoncelle d’Arne Deforce en apesanteur, éthéré et incertain malgré des instants plus vigoureusement terriens. L’intériorité et la sensibilité de l’interprétation tient en un délicat équilibre cet entre-deux perpétuel auquel il est si difficile de prêter juste vie.


L’œuvre est de 1981, proche dans le temps et par la durée redoutable (88’ ici) des deux Quatuors à cordes, quoique de tempérament légèrement plus nerveux. Les quatre courtes pièces qui complètent la sélection sont d’une tout autre époque. Feldman composait alors selon les mêmes principes en voie de devenir mais tenait à accorder une certaine part de liberté à ses interprètes. Dans les deux pièces pour violoncelle seul, Projection 1 etIntersection IV et les huit miniatures de Composition pour violoncelle et piano, l’indétermination intervient au niveau de la hauteur, libre dans le cadre d’indications tripartites de registre (aigu, moyen, grave) alors que les intensités sont imposées et les durées de séquence et les valeurs de temps strictement contrôlées sur le papier millimétré de la partition graphique. Dès 1960, la notation fixe les hauteurs et indique le tempo général, mais Duration II permet aux deux musiciens indépendants de déterminer chacun les durées relatives pour sa partie et de choisir les timbres. Il en résulte des textures harmoniques inattendues et plus complexes. L’aléatoire permet d’imaginer d’autres solutions mais l’interprétation d’Arne Deforce et de Yutaka Oya, pointilliste, lyrique et transparente, rapproche ces quatre pièces de l’aphorisme wébernien et c’est tout à fait convaincant.


On compare volontiers la musique de Feldman à la peinture, aux toiles de Pollock pour le graphisme des partitions des années 1950 ou aux profondeurs tendues et veloutées de celles de Rothko pour les compositions plus tardives d’apparence étales. Dans tous les cas, comme ici, l’écoute exige un esprit disponible, ouvert et réceptif et, quelles que soient les intentions, invite davantage au recueillement qu’à l’analyse musicale.


Le site d’Arne Deforce


Christine Labroche

 

 

 

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