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01/03/2010 «Je n’aime toujours pas le classique, mais ça j’aime bien»
Dates et lieux d’enregistrement non précisés – 149’30
Album de deux disques RCA 88697 573582 (distribué par Sony/BMG)
Deux ans après «Je n’aime toujours pas le classique, mais ça j’aime bien», RCA poursuit dans la même veine, proposant à nouveau, dans un double album illustré par Sempé et copieusement rempli, trente-cinq brefs morceaux de musique dite «classique» censés, si l’on en croit le petit texte de présentation (en français), faire rendre les armes à ceux qui conservent «un certain recul préventif», à ceux qui, intrigués, ont failli acquérir le premier volume et à ceux auxquels un proche aura voulu faire une blague: une entreprise opportune, car consciente de n’être qu’une initiation, promettant à juste titre «un abîme de richesses infinies» et devant ensuite être complétée («il vous faudra sans doute un jour en savoir plus»).
Dès lors, dans le cadre d’une telle opération de vulgarisation, il ne faut évidemment pas pinailler. Ni sur les interprètes: «London Festival Orchestra» et «Alfred Scholz», bien connus des bacs des supermarchés, Messie éléphantesque de Beecham («Alleluia», bien sûr), Quatre saisons d’Accardo («Le Printemps», bien sûr? eh bien non, «L’Automne»!), Neuvième symphonie de Beethoven sous la baguette endormie de Previn. Ni sur la précision apportée à la description des œuvres («Danse slave n° 8», «Rêve d’amour n° 3», «Danse espagnole», «Cantinela» au lieu de «Cantilena», «Sérénade pour cordes» [de Dvorák] sans préciser qu’il s’agit de la «Valse») ou des artistes (pas de mention du nom du ténor – en fait Gary Lakes – pour la Neuvième de Beethoven). Ni sur la réduction drastique de certaines partitions (Adagio d’Albinoni, Finale de la Neuvième de Beethoven) – sans qu’il soit pour autant mentionné qu’il ne s’agit que d’extraits – ou les arrangements dont d’autres sont victimes (orchestration kitschissime du Rêve d’amour, Ave Maria de Schubert pour chœur et cordes).
Ou bien faut-il au contraire pinailler? Car, après tout, pourquoi le néophyte n’aurait-il pas droit à une qualité d’interprétation et d’information équivalente à celle qui est accordée au mélomane confirmé? Cela étant, on trouvera dans cette sélection quelques perles, dans le bon sens du terme, ne serait-ce que chez Mozart, tels l’Adagio du Concerto pour clarinette par Goodman et Münch, la «Marche turque» de la Onzième sonate par Larrocha ou bien l’Ave verum dirigé par Flor.
En revanche, le postulat principal sur lequel est fondée cette sélection mérite d’être questionné: à de très rares exceptions près («La Bohémienne» des Chants du Rhin de Bizet), elle ne comporte que des «tubes». Or n’y a-t-il que ces «tubes» pour faire aimer la musique dite «classique» à un public qui, précisément, ne reconnaît que partiellement, voire pas du tout, ces «tubes»? Et, subsidiairement, l’histoire de la musique commence-t-elle avec Vivaldi et s’arrête-t-elle avec Poulenc? Quand on connaît la réceptivité du jeune public à la musique contemporaine, et sans aller jusqu’à faire figurer Boulez ou Ferneyhough au programme, il y avait certainement une place pour les compositeurs de notre temps: vivants, en un mot – le premier volume de cette série n’épinglait-il pas, parmi les préjugés qui s’attachent à la musique dite «classique», «que des artistes morts»? Enfin, la musique de chambre est quasiment oubliée, hormis un mouvement de la Sonate pour flûte de Poulenc, alors que les auditeurs de Radio Classique ont pourtant désigné le Second trio de Schubert comme leur œuvre favorite. De même, aucune page vocale soliste autre qu’opératique – Après un rêve de Fauré n’a droit de cité que dans l’arrangement pour violoncelle de Casals.
Mais de telles initiatives n’en sont sans doute pas moins indispensables pour tenter de remédier à ce qui est désormais en France davantage une réalité préoccupante qu’une perspective lointaine: la marginalisation de la musique dite «classique» parmi les pratiques culturelles. Il faut donc, «car la passion pour cette musique guette, elle est tentaculaire, goulue et n’épargne personne à priori».
Simon Corley
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