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01/01/2010 «Chopin, l’album du bicentenaire»
Frédéric Chopin : Nocturnes, opus 9 n° 1, n° 2 et n° 3, opus 15 n° 1, n° 2 et n° 3, opus 27 n° 1 et n° 2, opus 32 n° 1 et n° 2 (*) – Valses opus 18, opus 34 n° 1, n° 2 et n° 3, opus 42, opus 64 n° 1, n° 2 et n° 3, opus 69 n° 1 et n° 2, opus 70 n° 1, n° 2 et n° 3, opus posthume en mi mineur (*) – Impromptus n° 1, opus 29, n° 2, opus 36, et n° 3, opus 51 (*) – Fantaisie-Impromptu, opus 66 (*) – Boléro, opus 19 (*) – Mazurkas, opus 30 n° 3 et n° 4, opus 33 n° 4, opus 41 n° 2, opus 50 n° 3, opus 56 n° 3, opus 59 n° 3 (#) – Etudes, opus 10 n° 3, n° 5, n° 6, n° 8 et n° 12, opus 25 n° 1, n° 5 et n° 7 (#) – Etude n° 2, extraite des «Trois nouvelles études» (*) – Polonaises, opus 40 n° 1 (*), opus 44 (*) et opus 53 (¤) – Concerto pour piano n° 1, opus 11 (arrangement pour piano et quintette) (§) (&) – Sonates n° 2, opus 35 (¤), et n° 3, opus 58 (§) – Scherzo n° 2, opus 31 (§) – Préludes, opus 28 (¤) – Barcarolle, opus 60 (¤)
Arthur Rubinstein (*), Vladimir Horowitz (#), Jean-Marc Luisada (§), Evgeny Kissin (¤) (piano), Quatuor Talich (&), Benjamin Berlioz (&) (contrebasse)
Enregistrements réalisés entre 1962 et 2004 – 362’
Coffret de cinq disques Sony 88697 595682 – Notice de présentation en français
Il faudra s’y faire, 2010 sera l’année Chopin ! A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin (1810-1849), Sony réunit en un coffret compact des enregistrements de «quatre pianistes [qui] ont construit la légende de Chopin au disque». Recyclant intelligemment – en évitant les doublons – des interprétations bien connues et régulièrement diffusées, l’éditeur offre, pour un coût modique et dans un packaging condensé, un portrait finalement très complet des différentes options interprétatives de la musique pour piano du compositeur polonais.
Il faut dire qu’entre le Russe Vladimir Horowitz (1903-1989) et le Polonais Arthur Rubinstein (1887-1982), on tient peut-être la lune et le soleil, le poumon et le cœur, le yin et le yang de l’art chopinien. Il y a comme une infinie nostalgie, comme le parfum irrésistible d’une noblesse perdue, dans le Chopin de Rubinstein, qui fait tellement autorité qu’y retourner permet de remettre quelques pendules à l’heure, comme dans ces Nocturnes qui demeurent – près d’un demi-siècle après – la référence auprès de laquelle toute nouvelle version se devra d’être éprouvée. Tout aussi cardinales, les Valses – hautaines, rigoureuses, impeccables – ont à la fois la distinction des salons de la Pologne aristocratique et le charme du Paris conquis par Chopin. Et si l’on peut trouver les Impromptus bien sages, on y saluera – tout autant que dans un Boléro d’une élégance rare et raffinée – l’intégrité et la justesse de ton, qui sont le propre d’une exécution nourrie par le sens de la rigueur et de la mesure.
A l’inverse, le Chopin d’Horowitz, qui laisse le souvenir de l’iconoclasme (… alors même que l’éminent lisztien n’a cessé de remettre sur le métier ses interprétations du compositeur polonais), navigue en permanence entre folie et génie. Comme le rappelle la notice, le pianiste concevait la mazurka comme «Chopin à son apogée […] un poème inoubliable, triste et lyrique, communiquant ses sentiments avec économie mais de manière intense, ce qui ne fait qu’amplifier l’effet poignant de l’œuvre»: tel est bien le résultat obtenu dans cette sélection de Mazurkas, tout comme dans les quelques Polonaises et Etudes, qui offrent toutes des moments de fulgurance aussi précieux que rares, aussi hallucinés qu’imprévisibles. Si les fausses notes sont parfois vraiment nombreuses et si mieux vaut souvent ne pas comparer les indications portées sur les partitions avec les choix opérés par l’interprète, rien n’altère jamais l’évidence de la passion et l’intelligence d’un jeu qui ne connaît ni routine ni temps mort.
On pouvait craindre que Jean-Marc Luisada (né en 1958) et Evgeny Kissin (né en 1971) ne fassent pâle figure aux côtés de ces deux géants de l’interprétation chopinienne. Tel n’est heureusement pas le cas. Ainsi le pianiste russe fait-il mentir Arthur Rubinstein, qui pensait que «seul un Polonais est vraiment capable de jouer Chopin»: d’un geste magistral et intensément viril, Kissin livre une Deuxième sonate plus implacable encore que l’héroïque Polonaise en la bémol majeur. Surtout, il illumine chacun des Vingt-quatre Préludes avec un toucher puissant et d’une richesse rehaussée par une prise de son grandiose. Quant à Jean-Marc Luisada, qui sait bien s’entourer pour donner toute sa volupté à la version avec quintette à cordes du Premier concerto pour piano, il inonde la Troisième sonate de couleurs méditatives et de sensibilité poétique (manquant parfois de la noyer dans le miel). Ce faisant, il offre de Frédéric Chopin un visage intensément romantique qui permet à ce coffret de constituer non seulement le juste reflet des différentes facettes de l’art de l’interprétation du compositeur polonais, mais également l’une des «bonnes affaires» de l’année Chopin.
Le site de «Chopin 2010»
Gilles d’Heyres
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