Back
11/28/2009 Georges Ivanovitch Gurdjieff & Thomas de Hartmann : Intégrale des œuvres pour piano (Volume IV)
Charles Ketcham et Laurence Rosenthal (piano)
Enregistrement au Tonstudio Teije van Geest, Sanhausen (1999) – 89’15
Coffret Wergo 6643-1 & 6643-2 (distribué par DistrArt) – Notice en anglais, allemand et français
En matière de littérature, de peinture, de sculpture ou de cinéma, il y a des cas de co-auteurs qui viennent spontanément à l’esprit : les frères Grimm, les Goncourt, Boileau & Narcejac, Gilbert et George, Christo et Jeanne-Claude, Rodin et Camille Claudel, les frères Taviani, les frères Cohen. En matière musicale ? Il y a Georges Ivanovitch Gurdjieff et Thomas de Hartmann. Célébrité modérée. Wergo s’est donc attelé, à l’initiative de Jeanne de Salzmann, pianiste et élève de Gurdjieff, à la publication et l’enregistrement des œuvres des deux compositeurs. Il ne s’agit pas d’œuvres de l’un revues, arrangées ou transcrites par l’autre mais bien de pages écrites à deux mains : celle de Gurdjieff (1866-1949), né en Arménie et enterré en Seine-et-Marne, père de l’Institut pour le développement harmonique de l’homme (1922-1933), plutôt porté sur les mélodies, et celle de Hartmann (1885-1956), natif d’Ukraine et mort à New-York, plus particulièrement chargé des raffinements structurels.
S’il n’est pas possible de les distinguer, il en est de même des deux interprètes Charles Ketcham et Laurence Rosenthal qui se sont donné pour mission de révéler plus largement leur œuvre en neuf disques, avec la contribution de Linda Daniel-Spitz pour des enregistrements figurant dans les trois premiers coffrets. Ici, dans le quatrième, sont rassemblés sur deux disques, des hymnes (ceux qui n’avaient pu figurer dans le troisième coffret), des « fragments » divers et quelques œuvres choisies.
L’intérêt de ces pièces compendieuses, d’inspiration religieuse et mystique, est à vrai dire constant. Les Hymnes d’un grand temple mêlent tout d’abord lentes processions, portiques grandioses et jeux de cloches. Si parfois quelques accords font songer aux Moments musicaux de Rachmaninov, on est cependant saisi par la densité du propos, les effets de résonance, la simplicité et le recueillement de ces pages qui semblent écrites par une sorte de Mompou oriental, cherchant désespérément le silence. Les pas y sont lourds comme écrasés par le poids du sacré, l’interprète ne semblant pas toujours tenir la distance ou dégager la hauteur de vue de ces multiples et très lentes répétitions de notes ou d’accords, parti pris amplifié de façon inouïe dans La grande prière.
Les fragments de La lutte des mages composés en vue d’un ballet qui ne fut jamais monté, et d’une orchestration qui ne vit jamais le jour, joués en alternance avec Quatre compositions anciennes, d’inspiration clairement orientalisante, sont moins éthérés. Ils sont plus contrastés mais le jeu y est aussi étiré et proche de l’effondrement. La prière d’Essentuki qui suit, écrite en 1918, est proche de l’esprit de La grande prière. Il faut attendre alors Retour de voyage, ses basses profondes et ses passages arpégés, pour respirer un peu, avant L’initiation de la prêtresse, à vocation chorégraphique comme La lutte des mages, qui serait la pièce la plus longue de Gurdjieff/de Hartmann selon l’excellente notice mais qui constitue assurément la plus lumineuse du coffret. C’est une pièce beaucoup moins originale qui clôt le récital, Le derviche boukharien Hadj Assvatz Trouv.
Le coffret montre au total que cet étrange répertoire dispose à juste titre d’ardents défenseurs, au delà des cercles théosophiques, puisque Keith Jarrett (ECM) et Alain Kremski (Naïve) ont de leur côté également enregistré des pièces de Gurdjieff et de Hartmann. Leur écriture pianistique n’y est pas d’une grande complexité harmonique mais reste indéniablement fascinante.
Le site de la Gurdjieff International Review
Stéphane Guy
|