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03/04/2009
Béla Bartók : Sonate n°2 pour violon et piano n° 2, sz. 76 – Rhapsodie pour violon et piano n° 1, sz. 86
Ahmed Adnan Saygun : Suite pour violon et piano, opus 33 – Sonate pour violon et piano, opus 20 (premier enregistrement mondial)

Tim Vogler (violon), Jascha Nemtsov (piano)
Enregistré à Berlin à la Haus des Rundfunks (17-20 décembre 2007) – 69’56
Hänssler Profil PH09001 (distribué par Intégral) – Notice de Jascha Nemtsov en allemand et en anglais






C’est en 1936 qu’Ahmed Adnan Saygun (1907-1991) contacte pour une première fois Béla Bartók dans le cadre de sa quête ethnomusicologique qui, comme chez son aîné, nourrit la source de son inspiration et sa créativité musicale. Les deux compositeurs partent à travers l’Anatolie en novembre de la même année pour travailler ensemble, au sein d’un projet de recherches, à la collecte de chants et de danses populaires, Bartók à l’enregistrement, Saygun enquêteur et interprète, le premier notant les mélodies, le second les textes et les tempi fluctuants. Ce grand intérêt porté sur le fonds mélodique et rythmique commun de la musique traditionnelle de leurs deux pays forge un lien autant musical qu’amical entre les deux compositeurs, qui communiquent en français et qui ont subi tous deux, quoique de générations différentes, l’influence de la musique française, notamment l’«impressionnisme» et de plus, pour Saygun, la sève d’un d’Indy. Leur approche musicale témoigne d’un même esprit. Parallèlement au système tonal et en empiétant sur lui, chacun à sa manière sait élever en système hautement original les caractéristiques motiviques, rythmiques et modales des courants nationaux sans jamais recourir à l’imitation et encore moins à de simples appropriations directes. La musique de Saygun reste peut-être plus «classique» et plus proche des grandes formes que celle du grand créateur qu’était Bartók mais elle garde sa part d’originalité innovatrice, sa force et sa fragrance toute particulière.


Pour toutes ces raisons, il est tout à fait logique d’associer les deux compositeurs au programme d’un même enregistrement. La pianiste turque Gülsin Onay avait déjà eu cette idée pour son excellent enregistrement d’œuvres pour piano chez aulos. Tim Vogler et Jascha Nemtsov se lancent à leur tour en associant deux fois deux œuvres qui illustrent tantôt le rôle plus déterminant des courants nationaux – les pièces plutôt rhapsodiques – tantôt une émancipation inspirée – les sonates plus formelles mais plus personnelles, aux subtils parfums d’est et d’orient.


Les deux musiciens s’attaquent à la Première Rhapsodie (1928) de Bartók avec autorité et même une pointe de sécheresse, mais petit à petit l’archet de Tim Vogler se fait plus tzigane pour révéler toute l’ampleur chaleureuse du mouvement Lassú enchaînant avec bonheur les rythmes aériens, l’accélération effrénée et la nostalgie rhapsodique d’un Friss contrasté et généreux. La sève et l’éloquence immédiate du Prélude de la Suite (1956) de Saygun ouvrent sur trois mouvements qui traduisent toute l’essence de trois danses typiques de la Mer Noire, aux rythmes changeants, boiteux (aksak), trépidants ou gracieux, à la faveur de la richesse et de l’exigence d’une écriture inspirée d’une grande puissance dramatique. Au travers de multiples éclats de couleur, le violon et le piano, complices ou rivaux, paradeurs à l’occasion, brillants ou lyriques, en recréent les climats sensuels et expressifs moirés d’insouciance, de passion et de langueur mélancolique.


L’opulence de la Sonate (1941) d’un Saygun encore jeune s’installe dès le premier envol du violon. Dans des mouvements impairs, l’équilibre entre tradition classique occidentale et empreinte orientale semblent s’établir du côté de la tradition au niveau aussi bien du langage harmonique que de la nature des thèmes mélodiques. Vogler et Nemtsov les interprètent dans un style généreusement romantique aux belles sonorités instrumentales sans en escamoter les senteurs ottomanes qui demeurent. L’influence byzantine domine la fougue et le feu du merveilleux deuxième mouvement, Molto vivo aux rythmes accentués et aux couleurs intenses, alors que le quatrième, moins emporté, mais d’une force vive remarquable, se pose en parfait équilibre. Les deux instrumentistes semblent particulièrement à l’aise, laissant une impression d’engagement vigoureux et convaincu.


Dès 1922, à l’écoute de la Seconde Sonate de Bartók, Emile Vuillermoz soulignait avec raison «la force, la verve, la richesse, la vivacité et la valeur d’une pensée qui trouve toujours les techniques trop étroites et les instruments trop pauvres». La Sonate, maintenant célèbre, est effectivement d’une hauteur de vue extraordinaire et d’une originalité totale, bien que construite sur l’opposition lassú-friss, les constants changements de mesure et les vertigineux rythmes irréguliers des courants nationaux. Tim Vogler et Jascha Nemtsov, batailleurs et intenses, y apportent un heureux sens du phrasé et lui prêtent une allure chaleureuse et rhapsodique sans porter atteinte à la tension et à la densité rigoureuse de cette partition d’exception tout à fait virtuose.


L’intérêt de cet enregistrement relève de l’originalité de son programme, heureux rapprochement de Bartók et de Saygun, soie sauvage et velours frappé, mais sa valeur réside dans la qualité musicale des œuvres présentées.


Christine Labroche

 

 

 

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