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01/19/2009
Pierre Boulez à voix nue
Véronique Puchala
Livre accompagné de deux disques compacts d’entretiens en collaboration avec France Culture et Deutsche Grammophon
Editions Symétrie (novembre 2008) – 164 pages, 29€
Avec, comme point de départ, la préparation et la réalisation de cinq émissions pour France Culture en 2005, Pierre Boulez à voix nue est un ouvrage unique en son genre par son organisation et par le profil exceptionnel de l’étude qu’il propose. Comme Boulez le fait constamment lui-même, Véronique Puchala transcende son sujet en ouvrant les multiples dimensions de ce fin portrait, très complet, à une réflexion sur la création artistique en général et à une réflexion approfondie sur la création musicale.
La démarche quasi organique de Véronique Puchala peut se comparer dans une certaine mesure à la démarche créatrice de Pierre Boulez lui-même, «une démarche qui assimile la composition à un vaste processus de prolifération au sens quasi biologique du terme». En effet, à partir des germes d’une structure prédéterminée et des germes semés lors des entretiens par Boulez lui-même, elle trace le développement simultané des multiples arborescences de l’univers boulézien, univers hautement complexe et en perpétuel devenir. A partir des articulations données aux entretiens «à voix nue» qu’elle structure par un travail préparatoire extrêmement minutieux – «L’Ecoute – Le Regard – Le Geste – La Voix – L’Autre» – Véronique Puchala construit son ouvrage en cinq volets qui présentent le musicien, le compositeur, le chef d’orchestre, le passeur et les rapports nécessaires à autrui. Si les cinq parties tracent avec clarté les différentes étapes de la vie professionnelle et de la pensée créatrice du compositeur et chef, tout s’accomplit sans cloisonnements infertiles et sans soumission à une chronologie restrictive mais au contraire avec un parallélisme constant et une interactivité fructueuse, riches en enseignements. Chaque volet met une facette du prisme en pleine lumière, le prisme entier toujours présent par irisation et transparence.
Les cinq volets se divisent chacun en trois parties accompagnées d’une citation inspiratrice de Pierre Boulez tirée de l’émission correspondante. «L’Ecoute» met l’accent sur un Boulez plus jeune et l’éducation d’une oreille déjà fine, sur l’influence de Messiaen et, dans une moindre mesure, celle de Désormière, enfin sur la portée de son expérience en tant que directeur musical de la compagnie Renaud-Barrault; les faits restent loin de l’importance de leur impact à long terme mais déjà se dessinent les règles de vie; «Il s’agit de faire coïncider l’utopie de l’imaginaire et la pragmatique de la réalité». Klee personnifie en partie «Le Regard» mais ce n’est pas tant ses tableaux que sa démarche qui inspire le compositeur, provoquant, avec Debussy et parallèlement à l’électronique, une profonde réflexion sur l’évidence et l’émotion, sur la forme de l’œuvre moderne et sur l’espace-temps musical. «Le Geste» concerne le chef d’orchestre tout en stimulant le compositeur qui parfois se dédouble. Les pensées se densifient, les ramifications se développent et s’entrecroisent: les structures telles le Domaine musical, l’IRCAM et l’Ensemble intercontemporain y puisent leur raison d’être et la notion de geste pénètre la composition musicale. Un sens de la scène et un sens de la voix nés du temps du théâtre Marigny mènent le chef d’orchestre dès 1963 à Wozzeck, à Bayreuth et à l’exploration du matériau qui est la voix en amont du texte et du «geste théâtral vocal non représenté». De nouveau, l’essentiel n’est pas dans l’événement mais dans la pensée créatrice qui se développe et s’affine. Pierre Boulez avance toujours avec une même puissance d’énergie et de détermination portée sur une conviction sans faille. Ainsi «la recherche de l’Autre n’est pas une recherche ciblée» mais elle s’impose et elle est essentielle qu’il s’agisse d’un public ou d’une rencontre à deux. Les affrontements, les collaborations et les partages traversent les différents secteurs de la société et ne peuvent qu’enrichir celui qui pense, comme Boulez, que «la vertu de l’individu est la qualité de celui qui va de l’avant dans son utopie, qui réalise sa vision [...]».
Véronique Puchala touche en conclusion à la notion d’infinitude qui s’impose comme une évidence au processus de création boulézien. L’élégance et la précision de son style, la clarté et la fine intelligence de son propos mettent en lumière l’homme et l’œuvre dans une dynamique artistique, intellectuelle et humaine. C’est un livre indispensable à qui s’intéresse à Pierre Boulez, certes, mais aussi tout simplement à qui s’intéresse à la problématique de la création musicale.
La bibliographie comporte essentiellement les écrits de Boulez qui sont entrés dans la préparation d’abord des émissions, puis de cet ouvrage au cours duquel on en trouve de nombreuses citations référenciées en bas de page. Bien qu’il soit constamment question des œuvres de Pierre Boulez, le catalogue, peut-être attendu en fin de volume, s’efface devant une discographie qui, plus justement, relève à la fois du compositeur et du chef d’orchestre. De présentation esthétiquement très belle, le livre s’enrichit de photographies contrastées en noir et blanc à l’éclairage subtil. On y voit Boulez en mouvement aujourd’hui, ses expressions et ses gestes en contrepoint du texte. Il s’agit de photographies inédites de Jean Radel. L’ouvrage est accompagné de deux disques qui offrent les enregistrements des cinq émissions de 2005 dans leur intégralité, entretiens et extraits musicaux, ces derniers, tout à fait à-propos, tirés du catalogue Boulez chez DG. Comme le souhaitait Véronique Puchala, les entretiens, fil rouge de l’ensemble, donnent encore une nouvelle dimension aux écrits et inversement. Pierre Boulez s’y exprime avec la puissance et la grande clarté que l’on lui connaît et le plaisir de l’entendre est immense.
Toutes proportions gardées, on pourrait voir dans les écrits de Véronique Puchala, et les entretiens qu’elle mène, comme un certain reflet de la description précise et évocatrice qu’elle donne de la musique de Pierre Boulez qui «irradie la puissance du Devenir dans un faisceau de formes organiques extrêmement dynamiques et mobiles qui ne reviennent jamais sur elles-mêmes mais qui s’arborisent dans un espace temporel à géométrie variable aux incidences structurelles à chaque fois différentes d’une œuvre à l’autre»... d’un chapitre à l’autre. La cohérence et la force exceptionnelle du discours et du parcours de Pierre Boulez dans son infinitude y sont parfaitement lisibles.
A noter: la librairie Vernissages (192, rue de Courcelles, 75017 Paris) organise une rencontre avec Véronique Puchala le vendredi 27 mars 2009 à partir de 14 heures.
Christine Labroche
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