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01/12/2009 François Couperin : Pièces pour clavecin: Premier livre (Deuxième et Quatrième ordres) et Deuxième livre (Neuvième * et Onzième ordres)
Violaine Cochard et Pierre Hantaï * (clavecin)
Enregistré à l’Eglise luthérienne de La Villette, Paris (juin 2007) – 127’)
Album de deux disques Ambroisie AM 154 (distribué par Naïve) – Notice bilingue (français, anglais) de Vincent Borel
Avant même d’entreprendre l’écoute de ces disques, la première curiosité vient du titre : « Ordres pour clavecin »… Quelle en est l’exacte signification ? Qu’on nous permette de citer ici un passage du très beau livre qu’Olivier Beaumont a consacré à Couperin (dans la collection « Découvertes » chez Gallimard) et qui en donne l’exégèse : « En France, l’ordre fait son entrée dans le vocabulaire de la musique, puisant son origine dans l’Italie du XVIIe siècle ; ainsi, en 1693, Giovanni Battista Brevi emploie le mot ordine pour ses Sonate da camera. Pourquoi Couperin use-t-il de cette terminologie ? Au début du XVIIIe siècle, la suite de danses, un genre musical considéré comme français, a été adoptée par toute l’Europe par nombre de compositeurs. Aussi a-t-elle un peu perdu son identité nationale. Avec son Premier livre pour clavecin, Couperin cherche-t-il à inventer une sorte de suite plus française que la suite elle-même ? L’Ordre qui place aux côtés des danses des pièces de caractère, portant chacune un titre, répond à cette aspiration ».
Le premier disque nous donne donc à écouter deux Ordres (Deuxième et Quatrième) tirés du Premier livre vraisemblablement composé par François Couperin (1668-1733) au début du XVIIIe siècle et qui, en tout cas, a été publié en 1713. Le Deuxième ordre comporte une vingtaine de pièces qui, de façon assez remarquable, forment autant une suite cohérente qu’un ensemble de morceaux qui, chacun pris isolément, se suffit à lui-même. Ainsi, on y entend aussi bien des danses « classiques », qu’il s’agisse des Courante, Sarabande, Gavote ou Menuet, que des séquences au titre aussi pittoresque qu’énigmatique : « La Terpsicore », « La Babet » ou « La Mimi »…
Violaine Cochard, jeune claveciniste de trente-cinq ans, fait montre de qualités remarquables : technique irréprochable, engagement de chaque instant, attention portée aux moindres détails… Il faut dire que, contrairement à ce que l’on pourrait éventuellement supposer, ces différentes pièces s’avèrent très différentes et nécessitent donc chacune une approche particulière. Les affinités de l’interprète avec la partition sont donc essentielles. Certaines pièces ne « fonctionnent » que sur une base rythmique : ainsi, les « Canaris et doubles » sont brodés sur un rythme de sicilienne, le Passepied est, quant à lui, fondé sur une mesure ternaire qui connaît parfois de brusques accélérations lui donnant une tonalité haletante qu’esquive en revanche le Rigaudon, plus sage et mesuré. D’autres pièces requièrent en revanche davantage de fantaisie. En effet, elles doivent donner l’image du caractère des figures qu’elles sont supposées peindre. Les choix esthétiques effectués par Violaine Cochard sont, de ce point de vue, tout à fait admissibles : si « La Florentine » est appréhendée tout en délicatesse et en hésitation, elle aborde « La Garnier » avec austérité et une certaine mélancolie, « La Babet » avec gravité avant d’y instiller une véritable allégresse : il y a fort à parier que les deux dames (car on peut légitimement supposer que « Garnier » et « Babet » étaient deux femmes rencontrées par le compositeur dans ses pérégrinations) ainsi dépeintes par Couperin avaient les caractères que le clavecin de Violaine Cochard souhaite leur conférer. Il en va de même pour « La Diligente », au rythme empressé, « La Flotteuse », dont les hésitations renvoient aux minauderies de quelque séductrice en mal de conquêtes amoureuses, ou des « Papillons » qui font référence, non aux insectes, mais plutôt aux discussions sans fin de certaines femmes qui, ainsi, papillonnent, voletant d’un sujet à l’autre avec le même caractère affairé…
Dans le Neuvième ordre, on trouve également ce type de pièces plus ou moins recherchées qui, à l’occasion d’un léger ralenti, en focalisant l’attention de l’auditeur sur telle ou telle tonalité, jouant sur l’éventuelle légère dissonance, prennent un malin plaisir à dessiner les contours d’une figure psychologique qu’on aurait peut-être bien aimé croiser (la douce « Princesse de sens » par exemple). De même, on ne résiste pas aux doigts de Violaine Cochard lorsqu’ils nous donnent à entendre d’aussi ravissants morceaux que « La Bavolet-flotant » (la bavolet étant une coiffe pour femmes mais, par extension, c’est un terme qui a également permis de désigner celle qui la portait), « L’Etincelante ou la Bomtems » ou « La Castelane », tirées cette fois-ci toutes deux du Onzième ordre.
Ce dernier ordre, le Onzième, mérite surtout l’attention pour la célèbre pièce intitulée « Les Fastes de la Grande et Ancienne Mxnxstrxndxsx ». Le terme « Mxnxstrxndxsx » vise, sans la nommer expressément par crainte de représailles d’ordre judiciaire, la « Ménestrandise », c’est-à-dire la corporation des ménestrels ; fondée en 1321, celle-ci se signala par son corporatisme intransigeant, la défense parfois ridicule de ses privilèges (à travers notamment de nombreux procès) et son caractère musicalement conservateur. Couperin, à travers cette pièce originale, se moque d’elle grâce à une rythmique adaptée à chaque épisode, qu’il s’agisse de la solennité du « Premier Acte : Les Notables et Jurés Mxnxstrxndxsx » ou du caractère ridicule et bancal du « Deuxième Acte : Les Viéleux et les Gueux ». Violaine Cochard, sans jamais singer plus que nécessaire (il faut dire que la partition se suffit à elle-même…), s’amuse visiblement à retranscrire les atmosphères suggérées par ces différentes pages où la technique du clavecin se met plus que jamais au service de la musique et du théâtre. L’écoute du « Cinquième Acte : Désordre et Déroute de la Troupe, causée par les Yvrognes, les Singes et les Ours » offre ainsi une réjouissante pagaille où bêtise, rires, et poursuites se mêlent en un joyeux tourbillon musical. Il en va de même pour la suite des « Baccanales » issue du Quatrième Ordre. Brève (à peine plus de six minutes pour les trois épisodes de la suite), elle offre quelques moments réjouissants, tour à tour guillerets et tendres, à l’image de ce disque qui ravira sans conteste les amateurs.
Sébastien Gauthier
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