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09/29/2008
Johann Sebastian Bach : Concertos pour violon en la mineur, BWV 1041, et en mi majeur, BWV 1042
Sofia Goubaïdoulina : In tempus praesens

Anne-Sophie Mutter (violon), TrondheimSolistene [Bach], London symphony orchestra, Valery Gergiev (direction) [Goubaïdoulina]
Enregistré à Hambourg (février 2007 [Bach]) et Londres (février 2008 [Goubaïdoulina]) – 63’47
Deutsche Grammophon CD 477 7948 (distribué par Universal)





Commande de la Fondation Paul Sacher à l’intention d’Anne-Sophie Mutter, le second concerto pour violon, In tempus praesens, de Sofia Goubaïdoulina fut créé à Lucerne en août 2007 par la violoniste allemande et l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle. Pendant les années 1980, c’est son premier concerto pour violon, Offertorium, qui a fait plus largement connaître Sofia Goubaïdoulina au-delà des frontières de l’URSS et c’est la beauté de cette œuvre remarquable qui a dès alors frappé la jeune violoniste. Offertorium prend appui sur le «thème royal» de L’Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach. Anne-Sophie Mutter estime que, s’il existe des liens entre Bach et Goubaïdoulina comme celui-ci ou d’autres par affinité musicale et spirituelle, le lien le plus fort est peut-être celui que l’on retrouve intact dans ce second Concerto, c’est à dire l’épanouissement spontané de strates d’émotion rare pourtant née d’une discipline extrême et d’une charpente rigoureuse basée sur les nombres (par exemple, la section d’or ou, ici, la suite de Fibonacci). Elle trouvait donc tout à fait naturel, lors de cet enregistrement, de faire précéder le concerto In tempus praesens de Goubaïdoulina des deux Concerti pour violon de Jean-Sébastien Bach.


Plus aérienne, plus vive et plus rapide que sa première interprétation captée en 1984 avec un orchestre plus lourd, l’interprétation qu’Anne-Sophie Mutter donne ici des deux Concerti de Bach est peut-être dans son ensemble plus lyrique que ciselée, mais fluide et souple grâce à l’adoption d’un archet baroque (étendue à l’orchestre) qui en avantage le phrasé particulier (surtout lors des ritournelles et des deux finales) et une corde de la moins tendue pour empêcher un éventuel brillant trop dur des cordes métalliques. Anne-Sophie Mutter, qui a aussi diminué son vibrato, sauf sur les notes tenues, sur le legato expressif des mouvements lents, et après des coups d’archet plus vigoureux, affirme avoir tenu compte des recherches musicologiques en opérant ces choix. On peut néanmoins préférer les interprétations plus perlées ou plus spécifiquement baroques ou encore une interprétation sur instruments modernes plus finement sculptée, mais il n’en reste pas moins que cette version est belle et son esthétique mûrement réfléchie et construite en accord avec les Solistes de Trondheim, tout à fait en phase avec leur soliste et chef. L’interprétation du Concerto en la mineur est tout particulièrement rafraîchissante.


Le style et le tempérament d’Anne-Sophie Mutter semblent parfaitement convenir au Concerto de Sofia Goubaïdoulina, qui loue sa fidélité au texte et «son jeu intensément lyrique, sa palette sonore extrêmement riche en couleurs, les timbres différenciés et surtout son intelligence de la forme et son phrasé parfait». In tempus praesens est en cinq parties enchaînées, rythmées, sinon en grande partie délimitées par les gongs et leur résonance. L’œuvre demande un effectif important : les bois par trois (hautbois) ou quatre, prenant piccolo et clarinette basse, les cuivres par trois, sans tuba mais avec en plus trois Wagner-tuben et un trombone basse, huit percussionnistes au fond, deux harpes, un clavecin un célesta et un piano au centre, quinze altos à la gauche du chef, douze violoncelles et neuf contrebasses à sa droite. L’absence de violons à l’orchestre est peut-être pour donner la part belle au violon solo, son unicité en accentuant le rôle symbolique.


Sofia Goubaïdoulina manie les forces orchestrales avec beaucoup de science, privilégiant les timbres de groupes instrumentaux soigneusement constitués à travers l’orchestre et n’ayant recours au tutti qu’à bon escient. C’est un somptueux flux sonore aux textures fines ou pleines et aux timbres subtilement changeants, flux riche et sensuel qui pare, accompagne, traque, affronte ou domine le violon seul. La ligne du violon tend sans cesse vers l’aigu, vers les hauteurs, le violon, chutant ou abattu, n’en reprenant que mieux son essor pour se mouvoir, ardent et gracieux, parmi les cimes sublimes des aigus lumineux et des harmoniques tenus. C’est une lutte entre l’ombre et la lumière, le chaos et la sérénité, le multiple et l’unique. Au début, la lumière se répand dans le rayonnement du violon seul, orné petit à petit de merveilleux rehauts cristallins mais la menace et la force d’attraction féroce des ténèbres orchestrales précipitent cet esprit libre sans cesse vers les profondeurs. Lors du quatrième épisode, un motif répété de trois accords martiaux et impératifs dompte un violon affolé qui enfin se libère et s’élève pour s’élancer dans la touchante plaidoirie de la cadence, assez convaincante pour que l’orchestre, multiple, le rejoigne dans un son unique, un unisson symbolique trois fois répété, et c’est tout à fait saisissant. A la fin de l’œuvre, un tutti resplendissant, les cuivres enfin lumineux, cède progressivement l’espace au fa dièse élevé du violon seul.


La coïncidence des prénoms de Goubaïdoulina et de Mutter a fourni un climat à la compositrice, une idée fertile et inspiratrice autour de Sophia, la déesse de la perfection et de la sagesse divine, ou Sophie, la sainte martyre tant vénérée dans les pays orthodoxes. Goubaïdoulina en élargit l’ambitus orchestral, les troubles et les grondements venant des profondeurs et l’épanouissement ou la sérénité se situant dans le registre aigu. Sachant cela, la composition laisserait facilement imaginer une allégorie autour de la déesse et la création du monde ou autour de la sainte et sa vie faite d’épreuves qu’elle domine, illuminée par sa foi. La compositrice ne déclare cependant aucun programme, seulement une profonde inspiration extra-musicale qui la pénétrait et la portait, et qu’elle a traduit de manière musicale et abstraite par la création de l’immense espace et des temps particuliers nécessaires à son œuvre et, peut-on penser, par la recherche de rythmes et de sonorités orchestrales qui les éclairent ou les assombrissent.


La prise de son, transparente et claire, met en valeur les moindres détails de l’œuvre, qui exige beaucoup des interprètes – plus particulièrement de la soliste, cela va de soi, mais aussi des percussionnistes dont le moindre manque de précision pourrait transformer un geste orchestral fort en un trait trop attendu voire naïf. L’Orchestre symphonique de Londres s’acquitte de sa tâche avec un grand luxe sonore, bien dirigé par un Gergiev convaincu de la richesse des partitions de la compositrice russe. Après celles de Lutoslawski, Moret, Rihm, Penderecki, Dutilleux et Previn qui ont tous écrit pour elle, Anne-Sophie Mutter, virtuose et émotionnellement engagée, interprète cette nouvelle partition avec une détermination, une force et une autorité remarquables. C’est une très belle prestation.


Le site d’Anne-Sophie Mutter
Le site des Solistes de Trondheim


Christine Labroche

 

 

 

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