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08/19/2008 Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 4 en sol majeur, opus 58 (*) – Sonates pour piano n° 18 en mi bémol majeur, opus 31 n° 3 (**), et n° 32 en ut mineur, opus 111 (***) Clara Haskil (piano), Wiener Symphoniker, Herbert von Karajan (direction)
Enregistré en concert à Vienne (25-26 octobre 1952 [*]) et en studio à Munich (21 mai 1952 [**]) et à Ludwigsburg (11 avril 1953 [***]) – 73’27
Urania URN 22 352 (distribué par Intégral)
Un enregistrement légendaire... Pensez: un concert réunissant la grande pianiste roumaine Clara Haskil (1895-1960) dans un concerto de Beethoven sous la direction de Herbert von Karajan (1908-1989), à une époque où celui-ci commençait à résumer à lui seul la vie musicale européenne! Pourtant, que de contrastes entre ces deux immenses artistes... Clara Haskil, marquée par les désillusions, la guerre et la maladie, si fragile que Furtwängler refusait de jouer avec elle de peur qu’elle ne décède avant la fin du concert (sic), et Karajan, en pleine ascension, fringuant directeur de la Société des amis de la musique de Vienne depuis 1947, dirigeant très régulièrement l’Orchestre symphonique de Vienne depuis 1950. Cet enregistrement est un des deux seuls concerts donnés par Haskil et Karajan qui nous soient parvenus (l’autre étant le Vingtième Concerto pour piano de Mozart capté à Salzbourg le 28 janvier 1956 pour le bicentenaire de la naissance du compositeur). En dépit d’une prise de son médiocre, ce témoignage est intéressant pour se remémorer, si tant est que cela soit nécessaire, la merveilleuse pianiste qu’était Clara Haskil.
Le Quatrième Concerto pour piano de Beethoven est dédié à l’archiduc Rodolphe (le plus jeune fils de l’empereur Léopold II) à qui il donna des leçons de piano et de composition dès 1804. Principalement écrit entre 1805 et 1806, créé par le compositeur chez le prince Lobkowitz en mars 1807, c’est une composition audacieuse pour son époque puisqu’elle débute par le piano seul et non par une introduction orchestrale comme on en avait alors l’habitude. D’emblée, l’entente entre la soliste et le chef n’est pas tout à fait aussi idéale qu’on aurait pu l’espérer alors que l’on sait pourtant la très haute estime dans laquelle ils se tenaient réciproquement. Baignant le premier mouvement dans un climat lyrique, la pianiste s’impose avec un naturel et une grâce confondants en dépit d’un accompagnement parfois pesant de la part d’un Karajan certes attentif mais qui, que ce soit ici avec Clara Haskil ou, ultérieurement, avec Walter Gieseking ou Alexis Weissenberg, n’aura jamais véritablement réussi un bon Quatrième Concerto de Beethoven... Il en va de même pour le deuxième mouvement, nostalgique et dramatique à la fois, où la partition fait se contraster la masse des cordes avec le piano, solitaire et aérien. Si Clara Haskil joue de façon extrêmement simple, s’ingéniant à exploiter avec une poésie constante toute la palette de son instrument, le chef autrichien donne l’impression de se contenter de guider l’orchestre en confondant trop souvent gravité et lourdeur. Le troisième mouvement est globalement le meilleur en dépit de quelques décalages entre la pianiste et l’orchestre. Karajan instaure un climat printanier où Clara Haskil se glisse avec gourmandise, le Rondo vivace s’achevant dans une atmosphère légère où la fraîcheur tant attendue s’impose avec évidence. Pour qui souhaite écouter Clara Haskil dans un concerto de Beethoven, on recommandera le magnifique Troisième capté à Montreux quelques mois avant la mort de la pianiste, sous la direction d’Ernest Ansermet (Claves).
Les deux autres œuvres au programme de ce disque ne sollicitent que Clara Haskil puisqu’il s’agit de deux sonates de Beethoven. La Dix-huitième Sonate fait partie d’un opus qui regroupe trois sonates datant de l’année 1802. Composée dans une période difficile pour Beethoven (c’est à cette époque que, victime d’une surdité croissante et de fortes douleurs intestinales, il rédige son célèbre testament d’Heiligenstadt), cette sonate s’avère moins romantique que les deux précédentes. Adoptant une optique résolument mozartienne, Clara Haskil attaque le premier mouvement avec une vigueur étonnante, se jouant des moindres difficultés, privilégiant ensuite l’humour du second mouvement. Avec un charme communicatif, Clara Haskil fait du Menuetto le mouvement chantant par excellence de la sonate dans un esprit qui n’est pas sans préfigurer Schubert. Le dernier mouvement est, quant à lui, enlevé avec une maestria qui n’a d’égale que la difficulté rythmique à laquelle la musicienne doit faire face.
La Trente-deuxième Sonate fait également partie d’un ensemble de trois sonates (avec les Opus 109 et Opus 110). Esquissée à l’automne 1821, achevée au printemps 1822, elle est officiellement dédiée à l’archiduc Rodolphe, à l’instar du Quatrième Concerto, même si son édition londonienne la dédie cette fois à Antonia Brentano... Le contraste entre la fragilité de Clara Haskil et la force, voire la violence, de cette musique est étonnante: le résultat est très beau même si l’on peut regretter une main gauche un peu lourde qui, parfois, a tendance à couvrir le chant confié à la main droite. Le second mouvement est un hommage à Jean-Sébastien Bach : ainsi, son aria renvoie aux Variations Goldberg et le thème, une fois exposé, est ensuite développé en quatre variations, synthétisées dans une cinquième et dernière. Là encore, Clara Haskil fait preuve d’une maîtrise et d’une introversion admirables, rappelant ainsi que son répertoire était loin de se résumer au seul Mozart comme on a pu trop longtemps le croire.
Sébastien Gauthier
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