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08/05/2008
Franz Liszt : Concerto pour piano et orchestre n° 1 et 2 (*) – Fantaisie hongroise pour piano et orchestre (#) – Sonate en si mineur – Rhapsodies hongroises n° 2, n° 6 et n° 15 «Marche de Rakoczi» – Valse impromptu – Polonaise n° 2 – Deux légendes – Liebestraum n° 3 – Etudes d’après Paganini n° 3 «La Campanella» et n° 5 «La Chasse» – Valse oubliée n° 1 – «Sposalizio» et «Après une lecture de Dante», extraits des «Années de pèlerinage» – «Bénédiction de Dieu dans la solitude» et «Funérailles», extraits des «Harmonies poétiques et religieuses»
Frédéric Chopin : 17 valses – 7 préludes – 11 nocturnes – 29 mazurkas – 7 études – 2 polonaises – 3 écossaises – Fantaisie, opus 49 – Berceuse, opus 57 – Barcarolle, opus 60 – «Marche funèbre» de la Sonate n° 2, opus 35
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 8, opus 13 «Pathétique», n° 14, opus 27 n° 2 «Clair de lune», n° 15, opus 28 «Pastorale», et n° 23, opus 57 «Appassionata»
Franz Schubert : 36 valses, D. 365 – Moments musicaux, D. 780 n° 2, 3 et 6 – Danses allemandes, D. 783
Robert Schumann : Romance, opus 28 n° 2
Johann Sebastian Bach : Chorals n° 2, 4 et 5 (arrangement Ferruccio Busoni) – Prélude et fugue en la mineur (arrangement Franz Liszt) – Ouverture de la Cantate n° 29 (arrangement Camille Saint-Saëns)
Joseph Haydn : Sonate n° 38, Hob.XVI.23
Domenico Scarlatti : Sonate en ré mineur, K. 9
Johannes Brahms : Intermezzo, opus 117 n° 1
Emmanuel Chabrier : Joyeuse marche
Serge Prokofiev : Marche, extraite de «L’Amour des trois oranges»
Camille Saint-Saëns : Carnaval des animaux (¤)
Edvard Grieg : Concerto pour piano, opus 16 (§) – Pièces lyriques, opus 54 n° 2 «Marche norvégienne» et n° 3 «Marche des nains»
Piotr Ilyich Tchaïkovski : Concerto pour piano et orchestre n° 1, opus 23 (§)

Raymond Trouard (piano), Orchestre Colonne, Eugène Bigot (direction) (*), Pierre Dervaux (direction) (§), Orchestre National, Gustav Cloez (direction) (#), Devèze (piano), Henry Merckel, Georges Alès (violons), Lauverjon (alto), André Navarra (violoncelle), André Ameller (contrebasse), Fernand Caratgé (flûte), Henri Dionet (clarinette), Herbin (célesta), Berger (xylophone), Edouard Lindenberg (direction) (¤)
Enregistré à Paris entre 1948 et 1966 – 706’
Coffret de 11 disques SONY Classical 88697 318462 – Notice de présentation en français





Cette anthologie, intitulée «Une vie pour le piano», réunit dans un gros coffret un ensemble d’enregistrements du pianiste français Raymond Trouard (né en 1916), qui dormaient dans des bandes oubliées (principalement des 33 tours édités sous marque Odéon à la fin des années 1950 et au début des années 1960) et que Sony a eu l’audacieuse idée de reporter sur 11 CD, accompagnés d’un livret inégal alliant le meilleur (une passionnante interview de l’artiste, fourmillant d’anecdotes et de souvenirs)… au moins acceptable de la part d’un éditeur de ce renom (les nombreuses imprécisions ou erreurs dans le référencement des œuvres au programme). Personnalité riche, attachante, impressionnante par bien des aspects, Raymond Trouard nous revient comme le reflet d’une autre époque : celle du son des pianos Pleyel, celle d’une vie parisienne ouverte à toutes les disciplines artistiques, une époque où le secrétaire général du Conservatoire invitait chez lui Henri Bergson et Richard Strauss… sous les yeux ébahis du petit Trouard, celle où toute l’Europe accourait au théâtre des Champs-Elysées pour acclamer le vieux – et déjà légendaire – Ignacy Jan Paderewski. Entendre l’élégance de l’accompagnement pianistique laisser s’épanouir le violoncelle d’André Navarra dans Le Cygne du Carnaval des animaux aide à replonger dans cette «grande époque du piano français».


L’attrait principal du coffret réside, d’abord et avant tout, dans des Liszt tranchants et aux basses si profondes – l’une des caractéristiques du jeu de Raymond Trouard, lequel reçut les conseils d’Emil von Sauer en personne, qui fut l’élève de Liszt à Weimar : c’est ainsi qu’il fit sienne l’idée selon laquelle «les doigts ne peuvent obéir qu’à ce que l’esprit conçoit sans faille». Les deux Concertos enregistrés en 1954 avec Eugène Bigot illustrent à merveille ce précepte, résonnant avec évidence et force (dans une prise de son pas toujours nette), tout aussi indiscutables que la Fantaisie hongroise gravée en 1957 avec Gustave Cloez. Ainsi également de ces Funérailles, implacables et suffocantes, tout comme d’une interprétation infernale et saisissante d’Après une lecture de Dante. Moins enthousiasmante, la Sonate de Liszt est évidemment construite selon un plan limpide, mais développée dans des tempos bien rapides (… un peu trop, même, pour les doigts du pianiste) : en témoigne un Allegro energico au galop, qu’on mettra en perspective de la remarque du pianiste selon laquelle «il ne faut pas feindre son enthousiasme : on ne doit pas faire semblant, au cœur de la sonate de Liszt, on doit s’enflammer sans réserve. Quant aux dernières mesures, il faut les conduire avec une parfaite sérénité». De fort belle facture et impressionnants de doigté, Saint François d’Assise prêchant aux oiseaux et Saint François de Paule marchant sur les flots paraîtront assez terre-à-terre, presque asséchés, sans la magie qui s’échappe, par exemple et à la même époque, de l’interprétation de ces deux Légendes par Wilhelm Kempff. Si la même remarque peut être formulée à propos de la Bénédiction de Dieu dans la solitude, l’approche objective et rigoureuse de Liszt se révèle, par contre, rafraîchissante dans des Etudes d’après Paganini et des Rhapsodies hongroises structurées, patientes, presque entêtées, intensément rhapsodiques !


De Chopin, une abondante sélection de Mazurkas révèle une assurance technique, une franchise de ton, une élégance voire une noblesse qu’on qualifierait volontiers de surannées. Certaines pièces semblent manquer d’arrières plans sonores ; d’autres pourront se révéler insuffisamment fouillées… au risque de nuancer ce qu’en dit le pianiste dans le livret : «quand j’entends la façon dont certains jouent les Mazurkas de Chopin de nos jours… il n’y a pas de quoi être satisfait. Cela ne signifie plus rien d’un triple point de vue rythmique, stylistique et musical. On cherche dans la musique ce qu’elle ne contient pas, on s’efforce de lui extorquer des aveux, de la contraindre à reconnaître des crimes qu’elle n’a pas commis. Le jeu des pianistes actuels s’encombre parfois de maniérismes et d’effets gratuits, de "trouvailles" arbitraires en tout genre». Discours empreint de sagesse tout autant que de subjectivité… et qui n’empêche pas d’entendre deux interprétations fort différentes de la Valse en ut dièse mineur, la seconde – en concert – paraissant précisément s’égarer dans une folle bataille entre les mains droite et gauche, marquée d’accents pour le moins étonnants. Quoiqu’il en soit, on reconnaîtra, dans les Valses de Chopin, punch et panache à ce pianiste qui fut choisi – un peu par hasard – pour jouer, à l’âge de douze ans, dans un film sur Chopin intitulé La Valse de l’Adieu. On goûtera également à des Chopin fiévreux, éloquents et déterminés, à l’image d’une Fantaisie fière et bien hachée, avec un caractère martial inattendu, ou encore d’une Berceuse et d’une Barcarolle pas mielleuses pour un sou. On sera moins convaincu par quelques Etudes un peu hystériques (… à l’image des applaudissements qui les entrecoupent), par deux Polonaises étouffantes (notamment l’Héroïque enregistrée en public) et, dans une moindre mesure, par la sélection de Nocturnes à la fois pudiques et puissants mais excessivement sonores à la longue.


A côté de ce pilier romantique Liszt/Chopin (qui couvre 7 des 11 CD du coffret), le reste du programme ne manque pas non plus d’intérêt. Si le disque Beethoven qui réunit quatre sonates «à titre» est loin d’être négligeable, on n’y trouvera rien d’essentiel : la Pastorale se révèle très bien construite ; l’Appassionata sait se faire aussi ténébreuse que déterminée mais est parfois péniblement étouffante ; la Pathétique résonne d’une veine noire et virile, plus motorique que profonde, avec un Adagio bien rapide mais cantabile malgré tout ; enfin, la brumeuse Clair de lune reste littérale au risque de tomber dans l’anecdotique. En revanche, la franchise de ton des Schubert est heureuse, notamment dans des Danses allemandes d’une rare élégance et d’une grande sobriété, de même que dans trois Moments musicaux (… rebaptisés «mouvements musicaux» par la pochette) interprétés avec une froideur radicale et une rusticité assumée. On apprécie tout autant l’intégrité de l’approche pianistique dans la deuxième des Romances de Schumann. Tout aussi limpides et sans chichi, les Concertos de Grieg et de Tchaïkovski regorgent de vitamines, bénéficiant pleinement de l’accompagnement attentif de Pierre Dervaux avec l’Orchestre Colonne.


Au total, Raymond Trouard renaît des cendres du microsillon, au bénéfice d’un pari commercial risqué et pour un résultat artistique qui sonne clairement comme une réussite.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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