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07/29/2008
Maurice Ravel : Daphnis et Chloé (Seconde suite)** – Rapsodie espagnole*
Igor Stravinsky : Le Chant du Rossignol** – L’Oiseau de Feu (Suite)*
New York Philharmonic, Lorin Maazel (direction)
Enregistré en public à l’Avery Fisher Hall de New York (14-16 et 19 septembre 2006*, 25-28 avril 2007**) – 79’53
Disque Deutsche Grammophon 477 7175 (disponible exclusivement par téléchargement) – Notice en anglais de James M. Keller
La série des enregistrements publics de Deutsche Grammophon exclusivement téléchargeables sur Internet faisant la part belle aux formations américaines, il était normal que l’Orchestre philharmonique de New York fasse partie des heureux élus. Ce disque, reflet de plusieurs concerts donnés par l’orchestre et son chef titulaire Lorin Maazel (auquel succèdera en 2009 le jeune Alan Gilbert, actuel chef de l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm), tient de la véritable démonstration orchestrale mais, avouons-le, de la plus belle manière qui soit.
On ne compte plus le nombre d’œuvres musicales qui ont été commandées ou inspirées par la troupe des Ballets russes de Serge Diaghilev. Ainsi fut-elle, entre autres, le dédicataire du ballet Daphnis et Chloé que Maurice Ravel composa entre 1909 et 1912, après une première version pour piano datant de 1909-1910. De ce ballet, Ravel tira deux suites, comportant chacune trois mouvements ; la première édition de la « seconde suite » date de 1913, soit un an après la création du ballet sous la direction de Pierre Monteux, au Théâtre du Châtelet. Morceau de bravoure des grands orchestres, elle fut notamment donnée par Maazel et le Philharmonique de New York au Théâtre des Champs-Elysées en mai 2007 (voir ici). Contrairement à sa prestation parisienne d’alors, engoncée et narcissique, Lorin Maazel apparaît beaucoup plus naturel et fait montre de remarquables talents de coloriste. Le « Lever du jour » qui renvoie à un « fouillis ornithologique saluant la naissance de l’astre matinal » (Dominique Druhen) est superbe : d’emblée, l’orchestre, comptant sur des solistes inspirés et un pupitre de violoncelles à se damner, distille une magnifique atmosphère aux tons pastel qui se poursuit au cours de la « Pantomime » où brille la flûte solo de Robert Langevin. La « Danse générale » conclusive témoigne, cette fois (mais pouvait-on en douter ?), de la perfection technique d’un des meilleurs orchestres du monde qui, face à une rythmique implacable, emporte immédiatement l’auditeur dans un splendide tourbillon sonore.
Au-delà de l’identité du compositeur, la succession des deux œuvres de Maurice Ravel ici présentées ne pouvait mieux convenir puisque l’introduction de la Rapsodie espagnole (1907-1908) renvoie inévitablement à celle de la Seconde suite de Daphnis. Même atmosphère mystérieuse, même rythme lancinant, même opposition cordes-vents (clarinettes, bassons), allusion aux frères jumeaux de la journée (le « Lever du jour » faisant ici place au « Prélude à la nuit »)… La « Malagueña », sifflée et pourtant bissée lors de la création, marque ensuite le début d’un hommage à l’Espagne qui se poursuit jusqu’à la fin de l’œuvre. Là encore, les couleurs sont parfaitement rendues, la candeur du cor anglais contrastant avec les différentes explosions orchestrales du mouvement. Le climat rêveur de la « Habanera » laisse rapidement place à une « Feria » dont l’obstination rythmique rappelle, là aussi, la danse de la Seconde suite de Daphnis. Dans une alchimie étonnante, Maazel invite l’auditeur à pénétrer un monde magique où l’épisode central, confié au cor anglais et aux glissandi des cordes, marque une pause au sein d’un redoutable emballement orchestral dans lequel castagnettes et autres percussions répondent aux cuivres dans une joie communicative.
La seconde partie du concert est dédiée à Igor Stravinsky (1882-1971). Le Chant du Rossignol est un poème symphonique, achevé en 1917 puis créé en 1919 sous la direction d’Ernest Ansermet, dont le tissu orchestral n’est autre que l’aménagement de certains extraits du Rossignol (1908-1914). Si l’œuvre figurait également au programme parisien donné en mai 2007 par l’Orchestre philharmonique de New York, Lorin Maazel semble, en quelques jours (le présent enregistrement datant de la fin du mois d’avril 2007 !), avoir considérablement évolué dans son approche. La modernité transparaît ici à chaque instant alors que, au Théâtre des Champs-Elysées, « Little Lorin » choisissait de constamment privilégier l’aspect purement hédoniste de la pièce. Servi par un orchestre superlatif (la clarinette en mi bémol dans la « Marche chinoise » ou les cuivres dans le « Jeu du rossignol mécanique » mais les exemples peuvent être multipliés à l’envi…), Lorin Maazel donne ici une version qui prend place d’emblée au sommet de la discographie.
La suite tirée du ballet de Stravinsky L’Oiseau de Feu (1919) est la dernière œuvre au programme de cet enregistrement généreux. Le fait est que Lorin Maazel a toujours aimé cette pièce, qu’il a notamment dirigée à Paris à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne (au Théâtre des Champs-Elysées en septembre 1995) et de l’Orchestre de Paris (à la Salle Pleyel en mai 2000, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, voir ici). Stravinsky composa le ballet en 1909-1910 à l’attention des Ballets russes, sur un argument de Michel Fokine (chorégraphe de la célèbre troupe), deux points communs avec Daphnis et Chloé de Maurice Ravel. Choisissant des tempi qu’on aurait peut-être préféré moins retenus (notamment dans la « Danse infernale »), Maazel offre un écrin pour l’orchestre philharmonique de New York. Les solistes sont encore une fois remarquables (le basson dans la « Berceuse ») et, même si les détails sont parfois gommés au profit de la séduction la plus immédiate (le « Finale » est topique à cet égard), contribuent à donner de cette Suite une interprétation de haut vol.
Ainsi, même si cet enregistrement témoigne d’une prise de risque relativement faible (programme « classique », orchestre aguerri), Lorin Maazel prouve qu’il est toujours un chef d’envergure, capable du meilleur, notamment lors de concerts d’exception. On avait parfois tendance à l’oublier…
Sébastien Gauthier
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