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07/03/2008 Luciano Berio : Chemins IV (§) – Duos n°s 6 (*), 1 (+), 2 (+), 15 (*), 23 (+), 19 (*), 17 (+), 4 (+), 21 (*), 7 (+), 8 (*), 28 (+), 12 (+) et 9 (+), extraits des trente-quatre Duetti per due violini – Récit (Chemins VII) (§)
Pierre Boulez : Dialogue de l’ombre double, version 2001
Anton Webern : Quatuor, opus 22
Vincent David (saxophones soprano, alto et ténor), Erwan Fagant (+) (saxophones soprano et alto), Nicolas Baldeyrou (clarinette), Sébastien Vichard (piano), Nicolas Miribel (*) (violon), Ensemble Quaerendo Invenietis, Renaud Déjardin (§) (direction)
Enregistré à l’Espace de Projection de l’IRCAM, Paris (12-14 janvier 2007) – 61’20
æon AECD 0860 (distribué par harmonia mundi) – Notice de présentation en français et en anglais
L’originalité de la sélection d’œuvres présentées ici se tient dans le fait que, à l’exception du Quatuor de Webern, il s’agit de versions moins souvent interprétées d’œuvres qui connaissent un retentissement certain dans le monde contemporain de la musique. Vincent David en étant à chaque fois le soliste, il s’agit de versions avec saxophone(s), toutes écrites par le compositeur lui-même ou en étroite collaboration avec lui, hormis les Duetti de Berio pour lesquels le saxophoniste prend la partie de l’un des deux violons.
Les amateurs de saxophone trouveront invariablement au cours de ce récital une prestation de haut niveau qui ne pourra que les réjouir. Moins habitué à la sonorité du saxophone, on pourrait dans un premier temps préférer celle du hautbois, de la clarinette ou des violons d’origine, selon le cas, mais la virtuosité, la musicalité et l’engagement de Vincent David sont tels que l’on se laissera aisément convaincre. L’Ensemble Quaerendo Invenietis, à géométrie variable, aime à interpréter des pièces moins souvent jouées quelle qu’en soit l’époque et, en duo, en quatuor ou en ensemble constitué, son fin accompagnement tout en souplesse confère un supplément d’âme à ces pages du siècle dernier, déjà intemporelles.
On n’oublie pas la Sequenza VIIb de 1995, arrangement pour saxophone soprano de la Sequenza VII pour hautbois dû à Claude Delangle, mais Chemins IV, la pièce la plus ancienne du récital, est directement l’amplification de la Sequenza VII que fit Berio en 1975 pour hautbois et onze cordes ou pour saxophone soprano avec la même formation. Avec hautbois ou avec saxophone, la composition reste toujours aussi brillante mais le caractère s’en trouve modifié. Les cordes soyeuses, fluctuantes et mobiles qui se font l’écho et l’écrin du style perlé du hautbois aérien font place ici aux cordes plus musclées, toujours mobiles, que l’Ensemble Quaerendo Invenietis offre aux sonorités incisives du saxophone, plus charnues, peut-être, mais surtout plus puissantes et plus terriennes.
Les cordes se font plus douces lors de Récit (Chemins VII), aux multiples aventures. La Sequenza IX pour clarinette fut adaptée pour saxophone alto (IXb) par le compositeur en 1981. A partir de la Sequenza IXb, il composa Récit ou Chemins VII pour saxophone alto et grand orchestre en 1995. Les deux fois avec l’approbation du compositeur, Vincent David en réalisa une transcription pour saxophone alto, percussion et ensemble de saxophones, arrangeant celle-ci par la suite pour vibraphone, glockenspiel et douze cordes. C’est cette version, belle, que nous entendons ici. Sans perdre de son autorité, le saxophone se fait plus suave pour cette partition assez mélodique, se posant sur les douces ondulations des cordes tout illuminées de traits de percussion argentins, ou se joignant avec force aux élans soudains d’un tutti plus vigoureux.
Pierre Boulez composa le Dialogue de l’ombre double à l’occasion du soixantième anniversaire de Luciano Berio en 1985. Vincent David présente ici la version qu’il réalisa en collaboration avec le compositeur en 2001. Elle est pour saxophones soprano, alto, ténor et dispositif électronique et, comme la version pour clarinette, ne requiert qu’un seul instrumentiste. Le jeu du mystère de l’ombre, très impressionnant en salle grâce aux différentes sources sonores, garde en partie cette particularité pour l’auditeur attentif à la structure, aux intensités et aux effets stéréophoniques de l’enregistrement. Ombres réelles et réalités d’ombre, les multiples voix fluides, joueuses, lyriques ou autoritaires dessinent les entrelacs de dialogues à cache-cache, le dispositif électronique et les résonances créant à l’occasion une densité verticale tout à fait captivante. Vincent David y excelle.
Par rapport à d’autres interprétations plus nettement pointillistes de l’Opus 22 de Webern, le saxophoniste et les trois membres de Quaerendo Invenietis semblent en avoir une vision plus coulée, toutes proportions gardées, et leur style en est plus gracieux, plus lyrique, peut-être. Là où d’autres accentuent les timbres par une Klangfarbenmelodie plus brisée, les quatre instrumentistes marquent plutôt l’élan, cela par un enchaînement de timbres détachés sans heurt, (hormis quelques sons à l’occasion plus rauques), le relief venant des variations plus nettes de la puissance sonore. L’esprit de l’œuvre est à chaque fois respecté et la poésie en reste intacte.
Comme s’il s’agissait d’interludes, Vincent David sépare les œuvres majeures du programme en interprétant deux fois cinq et une fois quatre des trente quatre courts Duetti per due violine de Berio, son saxophone soprano ou alto tantôt accompagné du violon de Nicolas Miribel, tantôt en duo avec un deuxième saxophone soprano ou alto tenu par Erwan Fagant. Les Duetti sont souvent assez mélodieux et, tout en gardant un cachet immédiatement évocateur du compositeur, ils s’offrent en contraste aux autres pièces présentées qui sont plus ouvertement d’un esprit pionnier.
Si le nom de Boulez se lie à celui de Berio, exact contemporain et dédicataire du Dialogue de l’ombre double, il se lie également à celui de Webern pour des raisons évidentes. Webern se lie aussi à Berio par son goût de la transcription. Le programme de ce récital imaginé par Vincent David y trouve toute sa cohérence, son équilibre établi grâce à un ordre judicieux qui ne fait jamais se suivre deux œuvres pour une même instrumentation, passant de l’ensemble par le duo au solo, par le duo à l’ensemble et par le duo au quatuor.
Le site de Vincent David
Le site de l’Ensemble Quaerendo Invenietis
Christine Labroche
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