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06/18/2008 Jérôme Combier : Vies silencieuses : Essere fumo, Heurter la lumière, Feuilles des paupières, Bois sombre, Essere neve, Essere pietra*, Respirer l’ombre* – Trois interludes électroacoustiques**
Ensemble Cairn : Cédric Jullion (flûtes), Ayumi Mori (clarinette), Cécile Brossard (alto), Jérémie Maillard (violoncelle), Christelle Séry (guitare), Caroline Cren (piano), Sylvain Lemêtre (percussions), Guillaume Bourgogne (direction*) – Bande (**)
Enregistré à l’Espace de projection de l’IRCAM, Paris, (24, 25 février et 3 mars 2007) – 51’
æon AECD 0754 (distribué par Harmonia Mundi) – Notice de présentation en français, anglais et allemand
Vies silencieuses est un cycle de sept pièces relativement courtes écrites pour l’Ensemble Cairn entre 2004 et 2006, chaque pièce avec une instrumentation différente basée sur les possibilités instrumentales de l’Ensemble (alto, violoncelle, flûte, clarinette, guitare, piano, percussions). Le compositeur, Jérôme Combier (né en 1971), a fondé l’Ensemble Cairn en 1997 et en est aujourd’hui le co-directeur artistique aux côtés du chef d’orchestre, Guillaume Bourgogne. L’Ensemble, à géométrie variable, s’attache tout autant à un travail approfondi de musique de chambre par petits groupes qu’à celui d’un ensemble dirigé et Vies silencieuses fait appel cinq fois à l’une pour glisser une fois vers l’autre avant la septième pièce qui réunit les sept instrumentistes sous la direction de Guillaume Bourgogne, leur chef attitré.
Sensible aux arts plastiques, le compositeur trouve parfois inspiration ou correspondance dans l’œuvre d’un artiste et les principes qui l’animent. Pendant son séjour à la Villa Médicis entre 2004 et 2006, les toiles de Giorgio Morandi l’ont profondément marqué, sans doute plus spécialement les natures mortes stylisées, rythmées par les lignes et le jeu subtil de couleurs éteintes. Une nature morte étant un instant de vie suspendu, les objets représentés vibrant de la vérité de leur environnement invisible, le parallèle entre le terme «nature morte» et le titre Vies silencieuses peut frapper – le cycle «est avant tout métaphore d’un temps inspiré des œuvres [de Morandi]», écrit Combier, «[...] métaphore du temps de l’artiste, recherche d’une patience inspirée des œuvres du peintre à travers la contrainte de la forme, le travail sur la répétition». Si la musique vit par définition, la vie se lit aussi dans les titres de cinq des sept pièces du cycle, titres commençant par un infinitif dynamique, inspirés de l’œuvre en marche d’un autre artiste italien, Giuseppe Penone, qui représente et nomme l’action avant l’objet, le verbe avant le nom. Pour Combier comme pour Penone, être, c’est agir aussi, agir par le devenir. Fumée, lumière, neige, ombre, on remarque que les éléments choisis sont les plus éphémères ou les plus immatériels – comme la musique, peut-être.
L’ordre des pièces n’est pas chronologique. Le cycle s’articule autour de la dernière pièce composée, Bois sombre pour alto seul, qui est aussi la plus longue. Trois pièces la précèdent, respectivement pour trio sans percussion, pour trio sans vents et pour quatuor sans cordes, et trois la suivent, respectivement pour trio sans percussion, pour quintette sans vents et enfin pour l’ensemble au complet, établissant ainsi une intrigante symétrie de progression. Deux Interludes s’ajoutent aux premières pièces, un seul aux dernières légèrement plus longues, aboutissant ainsi à une symétrie de durée. L’équilibre est atteint.
L’instrumentation des sept pièces n’est jamais la même. Le compositeur a le souci d’employer les sept instruments les uns aussi souvent que les autres mais dans des associations bien distinctes et parfois inattendues et on s’attend à des différences timbrales très marquées. Passant de Heurter la lumière encore pour guitare, percussions et piano à Essere neve pour clarinette guitare et violoncelle, il ne peut guère en être autrement, mais Combier pousse ses recherches encore plus loin. Il a recours non seulement aux associations nouvelles de timbres instrumentaux classiques mais aux associations de techniques instrumentales avancées et parfois novatrices. Selon les instants, il peut demander à tous les instruments de produire les mêmes types de sons, parfois contre nature. Ainsi les instruments à cordes deviennent percussifs non seulement grâce à leur bois mais aussi par différentes techniques d’archet et de pizzicato, et les légers frottements de l’archet de l’alto de la pièce centrale, sans faire vibrer les cordes, produisent un souffle comme peut le faire un instrument à vent.
En plus de leur caractère propre, les sept partitions, imaginatives, inventives, expérimentales en somme, contiennent toutes des styles et des traits compositionnels communs : pointillisme et longues tenues de note, Klangfarbenmelodie et envolées mélodiques, ponctuations incisives et résonances, par exemple, pour les éléments stylistiques, et pour les traits, la délimitation de l’ambitus par deux sons consécutifs dans l’aigu et le grave, des rythmes créés à partir d’enchaînements de durées, bien sûr mais aussi de hauteurs et de timbres, trois accords, comme trois pas mesurés, dans l’aigu, le grave puis le médium, ou encore des cascades de notes, une à la fois ou plusieurs à la suite, chacune commençant plus haut que la précédente. La flûte et la clarinette entraînent parfois une coloration orientale plutôt timbrale qu’intervallique et on en vient à réfléchir au temps musical du cycle à la lenteur apparente tout orientale également, pourtant, plutôt que circulaire, il est en spirale et va constamment de l’avant.
On peut saluer les prouesses de l’Ensemble Cairn tout autant pour la mise en place certainement délicate que pour l’agilité individuelle de ses membres, comme dans les doubles cordes à larges intervalles peu habituels de l’alto.
Le jeune compositeur aime aussi à confronter sa musique à l’œuvre d’un plasticien et c’est Raphaël Thierry, rencontré à Rome, qui conçoit l’installation visuelle qui accompagne Vies silencieuses lors d’un concert. Il réalise en direct, au fusain et au sable, des dessins-sable qu’il crée et efface dans un mouvement perpétuel, projetant leur image par un jeu de miroirs sur un long caisson de lumière suspendu au-dessus des musiciens. De leur rencontre à la Villa Médicis est née aussi une bande-son électroacoustique, création de Combier, qui exploite, principalement, une prise de son des pluies de sable sous les mains de Raphaël Thierry lors de la préparation d’une autre installation, projet commun présenté ensemble dans le cadre d’une Notte bianca romaine. Les trois Interludes, venant après les deuxième, troisième et sixième pièces de Vies silencieuses, sont extraits de cette bande. Calmes et mystérieux chuchotements de Méduse, ils ont un charme certain.
Jérôme Combier remporte le prix de la Tribune internationale de l’Unesco pour sa composition Pays de vent, les Hébrides en 2002 et le disque MFA la présentant avec d’autres de ses œuvres interprétées par l’Ensemble Cairn reçoit le «Coup de cœur de l’Académie Charles Cros» en 2005. Le «Grand Prix de l’Académie Charles Cros» est attribué au disque Vies silencieuses en 2007.
La notice est du compositeur. Il y fait part de ses réflexions et de ses intentions.
Jérôme Combier sur le site de l’IRCAM
Le site de Raphaël Thierry
Le site de l’Ensemble Cairn
Christine Labroche
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