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05/03/2008 Franz Schubert : Winterreise, D. 911 (adaptation Normand Forget)
Christoph Prégardien (ténor), Joseph Petric (accordéon), Ensemble Pentaèdre : Danièle Bourget (piccolo, flûte et flûte en sol), Martin Carpentier (clarinette, clarinette basse et voix), Normand Forget (hautbois d’amour et voix), Louis-Philippe Marsolais (cor, cor baroque et voix), Mathieu Lussier (basson et voix)
Enregistré à l’église Saint-Augustin de Mirabel (septembre 2007) – 69’30
ATMA ACD2 2546 (distribué par Intégral)
Après l’«interprétation composée» du Voyage d’hiver de 1993 par Hans Zender (voir ici et ici), voici la «version de chambre» de 2005 par Normand Forget, hautboïste canadien, qui a déjà adapté les Kindertotenlieder ou le Knaben Wunderhorn de Mahler. Cette transcription, qui s’écarte un peu moins de la partition originale «für eine Singstimme mit Klavierbegleitung» que celle de Zender, prend tout de même un certain nombre de libertés avec l’œuvre de Schubert. Il faudra ainsi avoir l’esprit ouvert à la présence d’un accordéon, d’un hautbois d’amour, d’un piccolo, d’un cor baroque et même d’autres voix que celle du chanteur (lui-même ténor et non baryton). L’ordre des lieder de Schubert est également modifié pour retrouver celui du recueil de Wilhelm Müller : Wasserflut ne succède plus au Lindenbaum mais à Die Post, Die Nebensonnen ne s’intercale plus entre le Mut! et le Leiermann finaux, mais entre Rast et Frühlingstraum… Certains phrasés schubertiens sont, du reste, modifiés, comme à la fin de Im Dorfe.
Face à une telle «réadaptation» des mélodies schubertiennes, défendue par des interprètes de talent, on regrette vivement que l’éditeur préfère renseigner sur la vie de Franz Schubert et le mouvement romantique plutôt que s’attarder sur les choix opérés par le québécois Normand Forget (lui-même membre de l’ensemble Pentaèdre) et sur le processus de composition de cet accompagnement de chambre créé à Montréal en février 2005. Le livret se contente d’indiquer que, «par le choix des couleurs, alliant les vents à l’accordéon longtemps catalogué comme strictement populaire, Normand Forget fait revivre, à sa façon, l’atmosphère chaleureuse des "schubertiades" d’antan». En effet, la multiplication des combinaisons instrumentales offertes par le son de l’accordéon associé à un ensemble d’instruments à vent permet indéniablement de dessiner des paysages sonores plus chaleureux, de faire varier les ambiances avec davantage de réalisme, là où le piano offre une perception sonore nécessairement plus univoque. Le meilleur exemple en est peut-être Frühlingstraum, où l’instrumentation «naturaliste» brosse les mots de Wilhelm Müller comme dans un livre d’images où s’affichent les fleurs du mois de mai, les vertes prairies, les chants d’oiseaux, les coqs qui chantent, les corbeaux qui croassent sur le toit… On pourrait en dire de même de Die Krähe, où la corneille est plus facilement figurée par un instrument à vent que par un clavier.
Ce Voyage d’hiver paraît alors plus léger mais aussi plus trivial que la partition originale : pas vraiment obsédantes, les notes répétées du Wegweiser, par exemple, évoquent davantage une voiture (vieux modèle) à l’arrêt – feux de détresse allumés – près d’un «poteau indicateur» dont les inscriptions effacées demeurent mystérieuses. Dans Einsamkeit, les trémolos du piano sur «Ach, dass die Luft so ruhig! Ach, dass die Welt so licht!» ressemblent, joués à l’accordéon, à un «Woody Woodpecker» tremblotant. La pièce la plus étonnante (la plus réussie ?) est probablement Das Wirtshaus : ouvert non pas par un accord de cinq notes mais par une voix unique (volontairement hésitante et presque fausse, comme au bord de la dépression), l’accompagnement dépouillé s’étoffe progressivement avec l’entrée du ténor, accompagné par des instrumentistes devenus choristes et chantant à l’unisson, avec calme et effacement. L’irruption de cette chorale d’hiver sur le pallier de l’auberge – chaleureuse mais close – émeut par son ton juste et sa ferveur pudique.
Mélangeant audace et respect du génie schubertien, cette «version de chambre» du Voyage d’hiver met parfois la voix du ténor à l’arrière-plan du paysage sonore. L’interprétation de Christoph Prégardien se situe ainsi à l’exact opposé de son enregistrement de 1996 chez Teldec, où le pianoforte d’Andreas Staier donnait au contraire le sentiment d’une sécheresse de l’accompagnement. Avec son intonation claire et sa voix tranchante, Prégardien paraît d’ailleurs plus juvénile encore qu’il y a dix ans. Au total, ce disque nous convie à un voyage moins métaphysique et solitaire que terrestre et collectif : tel un Marthaler ou un Kusturica de la musique de chambre, Normand Forget a découvert un autre visage de Winterreise, celui des chants de troubadours et des gens du voyage. Une expérience originale, forte et convaincante. Un événement discographique aussi.
Le site du quintette à vents Pentaèdre
Le site d’ATMA Classique
Gilles d’Heyres
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