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04/17/2008
Nadia Boulanger et Lili Boulanger, témoignages et études
Alexandra Laederich, direction scientifique – Contributeurs: Karol Beffa, Idel Biret, Narcis Bonet, Jeanice Brooks, Myriam Chimènes, Annegret Fauser, Bruno Gillet, Elisabeth Giuliani, Jean-Louis Haguenauer, Gail Hilson Woldu, Sylvia Kahan, Alexandra Laederich, Florence Launay, Catherine Massip, Dominique Merlet, Jean-Michel Nectoux, Robert Pickering, Fiorella Sassanelli, Brian Stimpson, Rémy Stricker, Jean-Claire Vançon, Ronald Zollman et Nicolas Zourabichvili
Editions Symétrie. Collection Perpetuum mobile, 2007 — 533 pages, 49 €
La conception de cet ouvrage est consécutive au colloque musicologique «Nadia et Lili Boulanger» organisé par l’Académie musicale de Villecroze en collaboration avec la Fondation internationale Nadia et Lili Boulanger en 2004. L’ouvrage rend compte du travail important des contributeurs au colloque et en amont et en aval de ce colloque. Sous la direction éclairée d’Alexandra Laederich, il propose non pas une simple biographie des deux sœurs, mais une série d’études approfondies qui portent sur la nature et les raisons de leur action et de leur rayonnement, cela au travers de quelques témoignages d’anciens élèves de Nadia Boulanger, de documents et écrits déjà répertoriés concernant les deux sœurs, et du nouvel apport du fonds de correspondance de Nadia Boulanger (13 000 lettres reçues, 2 487 auteurs) maintenant soigneusement répertorié grâce à l’inventaire établi par Jean-Claire Vançon.
Deux sœurs, deux pionnières, deux femmes d’exception, l’une compositrice tôt disparue, l’autre génie pluridisciplinaire à qui les qualités et la trajectoire ont permis de laisser une marque indélébile sur le monde international de la musique au cours du siècle dernier. L’œuvre de Lili Boulanger demeure pour qui veut bien s’y pencher ou l’interpréter, solide, vibrant, promu par Nadia, la sœur aînée, sa vie durant. Nadia Boulanger a «choisi l’éphémère» – «reine de la musique» selon Bernstein, compositrice, interprète, chef de chœur et chef d’orchestre, pédagogue de renom et mentor, elle ne laisse que peu de traces formelles, ayant tôt renoncé à la composition, voué relativement peu d’interprétations à l’enregistrement et fait le choix de ne pas écrire d’ouvrages de fond relevant de sa pédagogie ou de son esthétique musicale.
Nadia Boulanger était, cependant, «l’incarnation de la discipline, du charisme, du don de soi et, surtout, la personnification du pouvoir spirituel de la musique» (Sylvia Kahn), et plus encore «l’interprète d’une puissante conception musicale dont le vecteur importe moins que l’esthétique» (Alexandra Laederich). Il s’ensuit que les deux tiers des études et des réflexions de cet ouvrage se portent plus précisément sur son champ d’action, profitant de la mémoire vive et de la documentation à disposition pour en examiner les influences musicales et humaines et les connivences sociales, et pour en interroger les possibles raisons d’être, la nature et la portée. Le lecteur se prend avec un intérêt grandissant dans les fils multidirectionnels du réseau complexe qui s’est constitué autour de Nadia Boulanger et qui faisait d’elle un maître d’œuvre aux idées originales et une intermédiaire d’une efficacité presque redoutable. Tout en y touchant à un vaste monde musical, artistique et cosmopolite, le lecteur y approfondit sa perception de ceux qui ont marqué plus spécialement la vie de Nadia Boulanger – Fauré, Valéry, Stravinski – y assiste aux mercredis de Nadia Boulanger, rue Ballu – leçons et concerts – et accède ainsi à une compréhension affinée des raisons musicales profondes de la composition innovante des programmes éclectiques de ses concerts, et des concerts qu’elle destinait aux salons de la Princesse de Polignac et de la famille royale de Monaco. Loin de l’anecdotique, les différentes analyses, subtiles, passionnantes et si clairement exposées quel que soit leur style – du ton de la conversation au style universitaire soutenu –, ouvrent au lecteur la possibilité de mieux pénétrer une conception musicale ample, percutante et originale.
Le dernier tiers des études porte sur les deux sœurs compositrices et aborde les compositions injustement négligées de Nadia et les stratégies de Lili. La formation et les premiers pas de Nadia et l’examen de «l’exception Lili Boulanger» donnent une vision nuancée de l’esthétique musicale au tournant du siècle et de la condition féminine à cette époque.
Sur les cinq cent pages, deux cents sont consacrées aux annexes. On y trouve l’habituel index des noms propres qui renvoie aux pages précises du texte, une bibliographie très fournie qui réunit ouvrages, articles et thèses, une liste annotée des contributeurs, et les crédits photographiques des documents personnels inclus en encart, mais les annexes les plus importantes (en taille) et les plus précieuses concernent directement les deux sœurs. Il s’agit de catalogues et inventaires exhaustifs établis pour la plupart en vue de cet ouvrage et jamais encore publiés. On ne peut que saluer avec gratitude le travail remarquable des contributeurs. S’y trouvent les catalogues raisonnés des deux sœurs comprenant des références aux différents manuscrits et éditions et avec renvois d’un catalogue à l’autre, une discographie recensant tous les enregistrements édités de l’œuvre de Lili puis de Nadia Boulanger et de celle-ci en tant qu’interprète, cet ensemble suivi d’un index cumulé des interprètes qui permet recherches et recoupements, ensuite le recensement des contributions de Nadia Boulanger à diverses revues musicales et à d’autres publications, et enfin, l’impressionnant inventaire du fonds de correspondance reçue par Nadia Boulanger référencié avec une précision qui facilitera toute future recherche.
Que ce soit par la réflexion menée, par les notes détaillées et soigneusement référenciées en bas de page, ou par les annexes, cet ouvrage dense et rigoureux constitue effectivement une aide précieuse, voire une véritable invitation à la recherche, autour de la famille Boulanger et de son réseau, certes, mais plus largement autour d’une esthétique de composition ou d’interprétation musicale, de toute personnalité ayant eu affaire à Nadia Boulanger ou de tout autre aspect de la vie musicale au XXe siècle. Tout comme le spécialiste, le lecteur occasionnel, y trouvera une nourriture miraculeuse, musicale et spirituelle.
Le Prix des muses 2008 de la biographie a été attribué à cet ouvrage le 15 mars dernier.
Le site de la Fondation internationale Nadia et Lili Boulanger
Le site de l’Académie musicale de Villecroze
Christine Labroche
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