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04/02/2008 Leoš Janáček : Les Voyages de Monsieur Brouček Jan Vacík (Matěj Brouček), Peter Straka (Mazal, Azuré, Petřík), Roman Janál (le Sacristain, Lunaire, Domšík), Maria Haan (Málinka, Ethéréa, Kunka), Zdeněk Plech (Würfl, Illuminé, l’Echevin), Ivan Kusnjer (l’Apparition de Čech, Second Taborite), Martina Bauerová (l’Apprenti serveur, l’Enfant prodige, l’Etudiant), Lenka Šmídová (Kedruta), Jaroslav Březina (le Peintre, Lapalette, la Voix du professeur), Aleš Briscein (le Compositeur, Harpicole, Miroslav), Václav Sibera (Un poète, Nébuleux, Vacek Bradatý), Edward Goater (Un poète), Christopher Bowen (Un autre poète), Charles Gibbs (Premier Taborite). BBC Singers, BBC Symphony Orchestra, Jiří Bělohlávek (direction)
Enregistré à Londres, Barbican Centre (février 2007) – 63.
2 disques Deutsche Grammophon 4777387 (distribués par Universal) – Présentation trilingue, livret quadrilingue.
Après avoir été dans la lune et s’être retrouvé dans Prague assiégée par Sigismond en 1420, Monsieur Brouček atterrit à Genève et dans nos discothèques. Belle reconnaissance pour cet opéra singulier, où l’on n’attendait guère le compositeur de Jenufa. Si un librettiste lui suffit pour « L’Excursion au XVe siècle », Janáček dut en solliciter sept pour « L’Excursion sur la lune », mettant finalement lui-même la main à la pâte pour parvenir au texte définitif de la première ! Ainsi lui fallut-il presque dix ans, de 1908 à 1917, pour venir à bout de ces Voyages dont le roman de Svatopluk Čech lui avait donné l’idée. Œuvre burlesque mais aussi pleine de fantaisie poétique, satire féroce d’une certaine esthétique et des travers d’une petite bourgeoisie terre-à-terre, mais aussi hommage à l’héroïsme de la nation enfin ressuscitée, l’œuvre fourmille d’allusions et de clins d’œil qui sans doute nous échappent quelque peu aujourd’hui. Ivrogne et couard, grotesque et attachant, Monsieur Brouček, propriétaire en quête de loyers et de saucisses, renvoie aussi à tout le monde le miroir de ses ridicules, comme une sorte de Falstaff tchèque. La partition, elle, se souvient parfois de l’opéra traditionnel, qu’il soit italien ou tchèque ; elle témoigne de l’originalité inclassable du compositeur tchèque, que l’on reconnaît ici d’emblée, même à travers les chatoiements debussystes de la musique de la lune ou les valses viennoises. Janáček est bien là, annonçant dans maints passages ses opéras de demain, plus lui-même malgré tout à l’auberge ou sur la lune que dans Prague assiégée, où les accents patriotiques obligés le « germanisent ».
Les enregistrements de l’œuvre, on s’en doute, ne sont pas légion – Charles Mackerras ne l’ayant pas enregistrée, l’ancienne version de Frantisek Jilek restait jusqu’ici la référence. C’est l’occasion de saluer cette captation live d’un concert donné à Londres en 2007. La direction de Jiří Bělohlávek constitue un gage d’authenticité, même si l’orchestre de la BBC n’a pas les saveurs si caractéristiques des phalanges tchèques, essentielles à Janáček. Il n’en trouve pas moins un bel équilibre entre les références à la tradition et les audaces modernistes, entre la verdeur des timbres et une opulence digne du post-wagnérisme, situant donc la partition à une sorte de carrefour, faisant en tout cas passer sur l’estrade l’urgence du théâtre. La distribution est excellente, qui rend justice à la conversation musicale de Janáček, notamment du côté des ténors, pourtant très sollicités dans l’aigu : on connaissait Peter Straka, mais on saluera Aleš Briscein, tout en remerciant Jan Vacík de ne pas en faire trop dans le rôle-titre. Et la fraîcheur de Maria Haan convient à ses trois rôles, en particulier Ethéréa, dont le nom est déjà tout un programme.
Didier van Moere
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