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02/28/2008 Thomas Adès le voyageur Hélène Cao
Editions Musica Falsa – 142 pages, 10 €
Hélène Cao, musicologue, professeur d’analyse et d’histoire de la musique, est l’auteur du livre Debussy, 1862-1918 (2001) aux éditions J.-P. Gisserot et d’une biographie de Spohr (2006) aux éditions Papillon, ainsi que de deux commentaires pour l’Avant-Scène Opéra, le premier de Turandot (mai 2004) et le second de The Tempest de Thomas Adès (septembre 2004), ce dernier accompagné d’un guide d’écoute. Elle porte désormais son attention sur tout l’œuvre du compositeur britannique, né en 1971, pour écrire une monographie dont le titre est un portrait in nuce : Thomas Adès le voyageur. «Pour traduire l’idée de voyage», écrit-elle de Tevót, la partition la plus récente d’Adès, «l’œuvre adoptera une structure en une seule coulée. Un flux continu à l’image de la trajectoire de Thomas Adès, toujours en mouvement, ancré dans l’histoire, mais tendu vers l’inconnu».
Le livre, outre l’essentiel – c’est-à-dire les qualités analytiques, synthétiques, musicales et littéraires du texte – est clairement organisé, et pratique comme un ouvrage de référence. Il comporte cinq chapitres subdivisés (chaque élément portant un titre informatif), un glossaire, le catalogue des œuvres par genre de 1989 à 2007, une courte bibliographie et une discographie avec vidéographie. L’ensemble est suivi de deux index alphabétiques, l’un des noms propres, l’autre des œuvres d’Adès, chaque référence renvoyant à des pages précises du texte. A cela, Hélène Cao ajoute une page annexe qui expose très simplement l’échelle signature de Thomas Adès, avec ses concordances modales. (L’échelle signature, jamais utilisée sous forme de gamme, est une structuration intervallique à l’horizontale ou à la verticale). Des notes en bas de page donnent des informations supplémentaires ou renvoient aux mesures numérotées des partitions (Faber Music) ou au minutage précis des enregistrements référencés.
Le sous-titre de la monographie – «Devenir compositeur. Etre musicien.» – peut suggérer la progression pyramidale inversée du texte. Au cours des trois premiers chapitres, Hélène Cao part de quelques éléments déterminants de la vie d’Adès qui le mènent vers la composition pour construire petit à petit une description détaillée et une vision argumentée de la complexité de son écriture. Celle-ci, aux constantes allusions et références tant musicales que littéraires, se révèle souvent attachée au passé par l’emprunt, le genre ou la forme, mais reste d’une créativité féconde allant résolument de l’avant. Le quatrième chapitre – «Contes divers» – est consacré à un examen approfondi des techniques compositionnelles et des techniques de l’allusion, appliquées, avec des résultats contrastés, aux deux opéras – Powder Her Face et The Tempest. L’accent est ensuite mis sur les qualités de conteur du compositeur que l’on retrouve à travers d’autres œuvres, avec voix ou strictement instrumentales. Le cinquième chapitre apporte couleurs, climats, ombres et lumières à l’ensemble tout en illustrant les liens positifs entre Thomas Adès et la tradition anglaise du mélange des genres – comédie et tragédie, joie et mélancolie... – si bien représentée par Shakespeare et Dowland de qui il se sent proche. Comme Adès, la musicologue soigne ses titres et sous-titres, qui sont autant d’allusions littéraires ou de formulations ambiguës à sens multiples. Lus d’affilée, ils deviennent un résumé élégant et intrigant de son excellent travail.
L’attention de l’auteur se porte pleinement sur les œuvres et sur les différents aspects de l’écriture mais un portrait du compositeur transparaît en filigrane ombré du texte. «Discret et secret, rétif à l’idée de devenir une personne publique», comme l’écrit Hélène Cao, «ermite infiniment gentil et sociable qui disparaît à la moindre occasion» selon Rattle, Adès, qui n’accorde que de rares interviews, brouille les pistes et vit en retrait des pleines lumières de sa notoriété internationale. On n’oublie pas, cependant, que ce jeune compositeur est aussi pianiste et chef d’orchestre de renom, et, depuis 1999, directeur artistique du festival Aldeburgh – une pluralité de compétences qu’il mène de front.
Bien au-delà du portrait, Hélène Cao offre au lecteur un nouvel éclairage rigoureusement informé de l’œuvre de Thomas Adès jusqu’à aujourd’hui, et la lecture de ce texte limpide, à la fois analytique et poétique, est un plaisir en soi.
Christine Labroche
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