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02/04/2008 Serge Rachmaninov : Etudes-Tableaux opus 39: n° 2 en la mineur, n° 6 en la mineur & n° 9 en ré majeur – Sonate n° 2, opus 36 (édition de 1931) – Fugue en ré mineur – Suite pour orchestre en ré mineur – Préludes, opus 23 n° 5 en sol mineur & opus 32 n°12 en sol dièse mineur Denis Matsuev (piano)
Enregistré en mai 2007 – 60’23
RCA 86971 55912 (distribué par Sony/BMG) – Présentation en anglais
Il y a de l’athlète chez Denis Matsuev, qui en a la puissance et la souplesse. La puissance est parfois quasi démoniaque : c’est un vrai sabbat que déchaîne la Sixième Etude-Tableau et le célèbre Prélude en sol mineur prend des allures de chevauchée fantastique. Matsuev est l’antithèse de Lugansky, qui sacrifie tout à la beauté plastique, quitte à lisser les œuvres : ce n’est pas chez ce dernier que l’on entendrait ainsi grésiller le Prélude en sol dièse mineur. Cela dit, comparaison n’est pas raison : on peut aimer l’un ou l’autre, l’un et l’autre. Il reste que Matsuev a la main de fer et le gant de velours : la Deuxième Etude-Tableau révèle, sinon un penchant pour l’effusion, du moins de la délicatesse dans le toucher et de la liberté dans le rubato. Mais on aime surtout, chez lui, la richesse des couleurs, sans laquelle Rachmaninov tourne à vide, surtout dans la trop foisonnante Seconde Sonate – si foisonnante que Rachmaninov la révisa en 1931, dix-huit ans après l’avoir écrite. Dans l’«Allegro agitato » initial, le pianiste s’écorche vif, puis se fait rhapsode dans le second thème ; il garde ce qu’il faut de distance et de hauteur dans le Non allegro – Lento, évitant d’y dégouliner, avant de s’abandonner à sa fougue coruscante dans le finale.
Ce sont là des œuvres connues, même si l’on a moins l’occasion d’entendre la Sonate. Récemment découvertes, les deux autres partitions, issues de la plume d’un apprenti compositeur de dix-huit ans, justifient le titre du disque : « Unknown Rachmaninoff ». La Fugue en ré mineur a été imposée par son maître Arenski. La Suite en ré mineur est la transcription d’une partition pour orchestre que, faute d’un nombre suffisant de musiciens au Conservatoire, on n’exécuta pas. Le piano orchestral de Matsuev y fait évidemment merveille, avec un très beau Lento, aussi intense que coloré. Si l’on est moins convaincu par le Menuet, dont les grâces surannées devraient être prises au second degré, on rend les armes à l’écoute de l’Allegro final, où l’interprète maintient l’équilibre entre une jubilation un peu convenue et des attendrissements guère plus novateurs.
Ce piano fantasque, que l’on sent souvent au bord de l’explosion, a parfois de quoi bousculer, voire irriter. Au moins ne laisse-t-il pas indifférent : le pianiste a non seulement des doigts, mais aussi de l’imagination. Si le jeu est torride, il n’agresse pas. Et le pianiste joue sur le Steinway que Rachmaninov avait à Senar, sa villa des environs de Lucerne : un instrument à la sonorité opulente, dont on se plaît à rêver ce qu’il en pouvait tirer.
Didier van Moere
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