Back
10/01/2007 Pavarotti Forever Cecilia Bartoli, Andrea Bocelli, Frank Sinatra, Orchestres et chefs divers
2 CD Decca 475 9349 – 151’
Afin de rendre hommage à l’une des stars majeures de son catalogue aussi rapidement que possible après sa disparition, Decca n’a pu pour l’instant que rhabillé sous une nouvelle couverture une compilation plus ancienne.
Paru en 1997, l’objet était à l’époque jugé suffisamment important pour que l’on y incorpore un véritable inédit (le Duo des cerises de L’Amico Fritz avec Cecilia Bartoli). En l’état, il s’agit d’un programme suffisamment varié pour apparaître encore aujourd'hui globalement représentatif de l’art de Luciano Pavarotti. Un album de deux CD également réparti entre 1h 15 d’opéra et 1h 15 de «variétés» au sens pavarottien du terme, domaine protéiforme qui rassemble sous la bannière du mouchoir géant un invraisemblable conglomérat de chants sacrés, chansons populaires en toc, opérettes viennoises traduites en italien, duos avec d’autres stars du show-biz, voire de stupéfiants nanars… A titre d’édification, et tant pis si c’est extrêmement pénible, on recommande l’audition de Caruso de Monsieur Lucio Dalla, grandiose monument de vulgarité candide, d’une complaisance intolérable même au 25e degré. Moins monstrueux les duos complaisants avec Sinatra ou Bocelli, les arrangements visqueux de Monsieur Giancarlo Chiaramello, voire ces kilomètres de gentil faux-folklore ripoliné pour faire pleurer les mammas à l’ombre des venelles napolitaines sont tout autant à fuir, voix solaire ou pas. On avoue ne pas avoir réussi à dépasser les premières mesures de certaines plages, même les consciences professionnelles les mieux trempées ayant leurs limites. Et pourtant on connaissait vaguement ces aspects-là de la star. On savait qu’ils remplissaient les stades et permettaient d’engranger des royalties somptuaires, voire on les tolérait avec indulgence… Brutalement, cet album d’hommage nous oblige à les écouter, et l’expérience est douloureuse.
Retournons vite au premier CD, qui s’ouvre par quelques moments de grâce. Des extraits de Turandot (Zubin Mehta), La Bohème (Herbert von Karajan), La Traviata (Richard Bonynge), qui nous rappellent à bon escient que Pavarotti n’a jamais été aussi convaincant, à moyens vocaux identiques, que dirigé par de bon stylistes. Sous de grandes baguettes la voix paraît immédiatement plus subtile, jouant sur une palette de nuances plus riche et se refusant un certain nombre d’effets faciles, même si certains aigus restent maintenus sur des durées olympiques. En 75 minutes le tour d’horizon est relativement complet, avec des lacunes voire des choix discutables (de Giordano on aurait préféré Andrea Chénier, l’un des meilleurs enregistrements du ténor, à l’Amor ti vieta de Fedora, expédié sans charme et plutôt mal enregistré). Un seul CD, c’est évidemment trop peu pour prendre véritablement la mesure de l’un des plus grands artistes lyriques de son siècle, mais cet aperçu est révélateur des vraies aptitudes d’une voix dont la notoriété repose peut-être sur quelques malentendus.
On s’est sans doute laissé trop méduser par l’incroyable faculté de Pavarotti à nuancer une émission qui restait, fondamentalement, en force, pour en faire un parfait exemple de ténor belcantiste, ce qu’il n’a jamais été vraiment. En dépit de la caution discographique d’un Richard Bonynge, qui a exploité les possibilités techniques exceptionnelles de Pavarotti à une époque où l’on ne trouvait pas d'autre personnalité «vendeuse» pour assumer correctement La Fille du régiment ou Les Puritains, les prestations du ténor vedette Decca dans ces répertoires vocalement impossibles restent loin de l’adéquation stylistique d’un Alfredo Kraus voire d’un Nicolaï Gedda. La plus belle exception est sans doute ici le Spirto gentil de La Favorite, extrait de l’un des premiers récitals discographiques de Pavarotti : une indiscutable merveille vocale, même si l’expression y pêche déjà par une relative monotonie. En revanche Rigoletto et L’Elisir d’amore paraissent un rien tendus, une raideur que seule la luminosité irradiante du timbre fait facilement oublier. En fait, d’extrait en extrait, on redécouvre surtout un inoubliable interprète des répertoires puccinien et vériste, dont les facilités de souffle évitent miraculeusement ces sanglots, beuglements et hoquets dont trop de ténors abusent pour réussir à soutenir des lignes physiquement éprouvantes. Les extraits de Tosca, Manon Lescaut, La Bohème, Turandot, Pagliacci, L’Amico Fritz sont tous miraculeux, et à vrai dire, hormis de vieux documents de Jussi Björling, on ne voit rien qui soit susceptible de leur être comparé. Les Verdi « lourds » (Aida, Trovatore), même abordés à une époque tardive où l’émail du timbre devenait plus clinquant, sont eux aussi d’une grande importance historique.
Un immense chanteur nous quitte. Reste maintenant à trier son héritage, ce que précisément ce genre de parution ne fait pas.
Laurent Barthel
|