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07/10/2007 Wolfgang Amadeus Mozart : L'Enlèvement au sérail Shahrokh Moshkin-Ghalam (Sélim), Malin Hartelius (Constance), Magali Léger (Blonde), Matthias Klink (Belmonte), Loïc Félix (Pedrillo), Wojtek Smilek (Osmin), Musiciens du Louvre-Grenoble, Marc Minkowski (direction), Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff (mise en scène)
Enregistré à Aix-en-Provence (juillet 2004) – 128’
BelAir BAC028. Format : 16/9. Region free (distribué par Harmonia mundi).
Va pour la turquerie, pour la bouffonnerie, pour la truculence ! Jerôme Deschamps et Macha Makeïeff sont à mille lieues de démolir, comme l’a fait récemment Stefan Herheim à Salzbourg, le chef-d’œuvre mozartien. Ils ont aussi refusé, contrairement à ce qu’avait fait quelques années avant, toujours à Salzbourg, François Abou Salem, d’intégrer l’opéra mozartien dans l’actualité moyen-orientale – ce qui y est dit de la condition des femmes n’a d’ailleurs nul besoin de mise à jour. Turbans – portés aussi par les musiciens de l’orchestre – et autres accessoires orientaux, colorés et chatoyants, rien ne manque à cette représentation de l’Orient rejoignant sans doute celle du siècle de Mozart. Jusqu’à ces percussions turques accompagnant les cortèges. Mais l’image d’Epinal s’arrête là : cet Orient est ambigu ; ces eunuques gros et gras, à la mine réjouie, sont aussi des bourreaux - et des espions - dans l’âme ; derrière le pittoresque se tapit la cruauté ; à chaque instant, tout peut basculer. La tour, à droite de la scène, est-elle prison, donjon, jardin des voluptés ou des supplices, ou tout cela à la fois ? Tout aussi ambigu est l’amour : Constance résiste-t-elle au Pacha par fidélité ou par devoir ? Et quand le Pacha n’est plus un acteur, mais un danseur aux gestes gracieux et séducteurs… qui, à la fin, prend des allures de Christ prêchant le pardon des offenses avant de se lancer dans une giration digne des derviches tourneurs… Cela dit, rien ne sent le gadget, comme si souvent dans les mises en scènes d’aujourd’hui : tout est pensé, la direction d’acteurs ne laissant pas le moindre geste au hasard, le calquant sur la musique, l’intégrant à une approche très chorégraphique de l’œuvre, qui fait presque du Singspiel mozartien un opéra-ballet. Du coup, que des comédiens - revoilà les Deschiens – doublent en quelque sorte la musique et les chanteurs ne gêne nullement, au contraire : le « Welche Wonne, welche Lust » de Blonde est irrésistible.
Cette production reste néanmoins très caractéristique d’une tendance de plus en plus actuelle : une mise en scène inventive, pleine d’esprit, qui revisite un opéra sans le déconstruire, complète une performance musicale beaucoup plus moyenne. Non que Marc Minkowski soit en cause : s’il exacerbe, comme à son habitude, les contrastes, capable de tempi très rapides ou très mesurés, de ralentissements ou d’accélérations, il le fait pour servir la cause du théâtre et maintenir, en parfait accord avec la production, le rythme du spectacle, chose souvent difficile à réaliser dans un Singspiel à cause des dialogues – en parfait accord aussi avec son ensemble grenoblois, qui se délecte visiblement des saveurs de l’orchestre mozartien. C’est du côté de la distribution que le bât blesse. Les chanteurs, tous assez jeunes, paraissent souvent confrontés à des rôles qu’ils ne maîtrisent pas toujours parfaitement du point de vue technique. Le Belmonte de Matthias Klink manque de souplesse dans l’émission, a la vocalise laborieuse, peine parfois à mener une phrase jusqu’à son terme faute d’un souffle impeccablement maîtrisé : s’il ne se risque pas à « Ich baue ganz », le « Wenn der Freude Tränen fliessen », au troisième acte, est carrément raté – le tempo du chef ne l’aidant guère à se sortir d’affaire. Thierry Felix gagnerait lui aussi à déraidir son émission, ce qui donnerait un « Frisch zum Kampfe » moins dur, et à ne pas détimbrer ses nuances, ce qui rendrait la Sérénade plus séduisante. Pas vraiment la basse profonde qu’on attend dans Osmin, Wojtek Smilek à tendance à chanter un peu bas au premier acte ; on lui sait gré en tout cas, même s’il n’a pas encore pleinement l’étoffe du rôle, de ne pas verser dans la caricature et de rendre au personnage son humanité. La tendance à chanter trop bas est en revanche presque constante chez Malin Hartelius, qui était Blonde dans la production de François Abou Salem, dès qu’elle se trouve dans la quinte aiguë ; mais elle n’en est pas moins délicieuse, affronte avec subtilité le rôle impossible de Constance, dont elle perçoit bien les ambiguïtés, plutôt à l’aise, à défaut d’être insolente, dans le vertige des vocalises. Jolie à croquer elle aussi, Magali Léger est une Blonde fraîche et pétulante, un rien verte encore mais jamais pointue – on passe volontiers sur un contre-mi laborieux.
En d’autres termes, on peut, pour les voix, trouver mieux, voire beaucoup mieux. Mais on trouvera difficilement un Enlèvement aussi pétillant d’intelligence. Ceux qui s’apprêtent à voir la reprise de la production à Aix ne manqueront pas de faire de passionnantes comparaisons.
Didier van Moere
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