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L’autre Beethoven de Riccardo Chailly Paris Salle Pleyel 10/29/2011 - et 11, 12 (Leipzig), 18 (Wien) octobre, 1er novembre (London) 2011 Colin Matthews : Grand Barcarolle (création française)
Ludwig van Beethoven : Symphonies n° 8 en fa majeur, opus 93, et n° 3 en mi bémol majeur « Eroica », opus 55 Gewandhausorchester Leipzig, Riccardo Chailly (direction)
Ni « baroqueux » ni « traditionnel », le Beethoven de Riccardo Chailly, qui, à la tête de son orchestre, donne l’intégrale des Symphonies successivement à Vienne, Londres et Paris, au moment où son enregistrement sort chez Decca. Mais ce « ni ni » n’est pas du caramel mou. Le chef italien défend une idée et propose une interprétation. Une idée : il s’appuie sur les différentes éditions, notamment pour se rapprocher des tempos de la création. Une interprétation : on entend autre chose, même s’il reconnaît sa dette envers un Gardiner… ou un Szell. Idée et interprétation patiemment mûries, avec la complicité d’un Gewandhaus superbe – complicité qui, au début, bouscula un peu l’orchestre dans ses pratiques.
La Huitième frappe d’emblée par le rééquilibrage des hiérarchies, sinon par leur suppression : les cordes, en particulier les violons, perdent leur position dominante. Au début de l’Allegretto scherzando, par exemple, ce d’abord les pizzicatos des seconds violons et des altos que nous entendons. On admire d’ailleurs la finesse de ces cordes d’une infinie souplesse, qui ne sonnent pas comme à Berlin ou à Vienne. Et pas besoin d’alléger outre mesure l’effectif pour alléger la pâte : les huit contrebasses sont là. Ce rééquilibrage des plans sonores, appuyé sur des tempos très alertes, parfois risqués, sur des articulations différentes, ne se réduit pas pour autant à une sécheresse analytique ou à une mise en valeur abrupte des contrastes : alors même que tout se perçoit, ils restent fondus – la timbale, très présente, magnifique, n’a aucune brutalité. Voici du coup une Huitième rendue à sa légèreté bondissante, renouant à la fois avec Haydn et Rossini – pas étonnant de la part d’un chef familier du compositeur du Barbier, dont la direction reste très narrative, avec un Allegro vivace final presque conçu comme un finale d’opéra.
Tout cela n’enlève rien à la puissance de l’Héroïque, où la musique avance, là encore, l’arc restant tendu jusqu’aux Variations terminales. Des Variations prises dans un tempo rapide, sans précipitation pourtant, où toutes les voix chantent – l’opéra, le théâtre, toujours. L’Allegro con brio initial avait donné le ton : ce héros est une force qui va, mais qui va quelque part et qui va sur des ailes – rien à voir avec une certaine tradition germanique. Les tensions ne s’émoussent pas pour autant, le lyrisme garde ses droits. Elles assombrissent ensuite le fugato de la Marche funèbre que le chef baigne déjà dans la lumière de l’au-delà, se gardant de tout dramatisme excessif, refusant d’anticiper la Marche funèbre de Siegfried. Le Scherzo bondit, commence pianissimo, confirme le soin apporté depuis le début du concert aux gradations dynamiques, sans effets spectaculaires gratuits. Certains pensent innover en faisant le contraire des autres : Chailly, lui, fait autre chose. L’anti-Thielemann aussi, qui revendique d’abord un héritage.
Pour montrer la modernité de Beethoven, le chef a commandé, pour chaque concert, des partitions à des compositeurs contemporains. La Grand Barcarolle de Colin Matthews (né en 1946), connu en France pour ses passionnantes orchestrations des Préludes de Debussy, a heureusement inauguré la soirée, ce qui a permis de l’oublier plus vite et évité une mise en regard crucifiante. Du post-Mahler – Matthews a aidé Deryck Cooke à réaliser sa version de la Dixième Symphonie – ou du post-Vaughan Williams, suscitant aussitôt l’ennui, où un thème d’un autre âge s’étire et s’étiole, où quelques touches de couleur côté bois, quelques effets sonores côté cordes n’arrivent pas à jeter de l’éclat, où une tradition se meurt plus qu’elle ne survit.
Le site de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig
Didier van Moere
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