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Le triomphe de Minkowski Paris Salle Pleyel 04/06/2007 - Georg Friedrich Haendel : Il Trionfo del tempo e del disinganno, HWV 46a
Olga Pasichnyk (la Beauté), Anna Bonitatibus (le Plaisir), Nathalie Stutzmann (la Désillusion), Stefano Ferrari (le Temps)
Les Musiciens du Louvre-Grenoble, Marc Minkowski (direction)
La récente production d’Ariodante au Théâtre des Champs-Elysées (voir ici) n’a pas manqué de réveiller les souvenirs de ce que Marc Minkowski avait pu apporter à cet opéra et, plus généralement, à Haendel, tant au disque qu’au spectacle. Mais l’unique présentation, Salle Pleyel, du Triomphe du temps et de la désillusion (1707) n’aura pas tardé à apporter d’appréciables consolations, tant l’équipe réunie pour l’occasion parvient à donner vie au premier oratorio de Haendel, créé voici près de trois siècles à Rome. Pourtant, le livret en forme d’allégorie pesamment moralisante, l’alternance stricte de récitatifs (généralement soutenus par le seul continuo) et d’airs da capo (à la partie centrale assez peu développée), le minutieux calibrage des numéros selon la hiérarchie entre les différents protagonistes aussi bien que l’impossibilité de recourir aux artifices de la scène créent un cadre particulièrement contraignant que l’ennui aurait pu, plus de deux heures et vingt minutes durant, venir menacer.
Rien de tel ici: non seulement la diversité des climats, notamment en seconde partie, contribue à soutenir l’intérêt, mais la partition, dont il faut se souvenir qu’elle est due à un tout jeune compositeur de vingt-deux ans qui vient d’arriver en Italie, joue à plein la carte «opératique», en ces villes où le genre était banni par les autorités religieuses et se réfugiait donc non sans une bonne dose d’hypocrisie dans les robes de l’oratorio. C’est ainsi que l’on y trouve déjà, sous les paroles «Lascia la spina», une adaptation de la sarabande (instrumentale) d’Almira, qui deviendra, quatre ans plus tard, le fameux «Lascia ch’io pianga» de Rinaldo, mais auquel, entre autres, l’air conclusif avec violon obligé «Tu del Ciel» le cède à peine tant en dépouillement qu’en force expressive.
Surtout, Minkowski, sans le moindre temps mort, fait flamboyer le langage baroque, soulignant les contrastes, comme dans ces longs silences ou dans ses choix de nuances dynamiques, depuis les pianissimi les plus audacieux jusqu’à la puissance des vingt-trois cordes qui investissent sans peine l’espace. Cinglant et théâtral dans le meilleur sens du terme, le chef déploie en même temps bien d’autres attraits: souplesse, rondeur, ampleur, sens de la respiration, une attention portée aux chanteurs, sinon peut-être dans ces tempi incendiaires qui mettent plus d’une fois en péril la précision de leurs vocalises. Tous ses efforts demeureraient cependant vains sans la parfaite cohésion, la beauté des timbres et la qualité instrumentale des Musiciens du Louvre-Grenoble, hautbois en tête.
Pour les voix, ce serait céder par trop à la facilité que de résumer la soirée en triomphe de la désillusion et non de la beauté. Le timbre aussi bien que la justesse du ténor Stefano Ferrari se révèlent certes très décevants, mais le problème principal tient à l’acoustique de Pleyel – globalement satisfaisante, et même plus, à bien des égards, depuis la réouverture – mais qui persiste à poser problème en matière vocale. Car autant l’on ne perd pas une miette du continuo, pourtant parfois très réduit et jouant sotto voce, autant les voix de petit format ont du mal à s’imposer, du moins jusqu’au premier balcon. Et qu’ont donc bien pu entendre les spectateurs placés dans les tribunes du chœur?
Cela étant, le trio féminin réserve d’excellents moments. Nathalie Stutzmann, dont Minkowski a prévenu en début de concert qu’elle était affectée d’un gros rhume depuis quelques jours, se taille un beau succès: sa diction n’en est certes pas améliorée, mais la plupart de ses airs présentant, par rapport à ceux de ses partenaires, un caractère plus lyrique que virtuose («Crede l’uom», «Più non cura»), elle parvient effectivement à se tirer plus qu’honorablement de ses difficultés. Anna Bonitatibus l’emporte légèrement à l’applaudimètre sur Olga Pasichnyk: c’est sans doute justice en termes de technique, mais du point de vue de la musicalité, il paraît en revanche bien difficile de les départager.
Simon Corley
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