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La verdeur de Masur

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
06/18/2004 -  
Michèle Reverdy : Lac de lune (création)
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
Franz Schubert : Symphonie n° 9, D. 944

Nelson Freire (piano)
Orchestre national de France, Kurt Masur (direction)


Kurt Masur fête ses soixante-dix-sept ans dans moins d’un mois, mais il n’a jamais paru aussi jeune, dirigeant, d’une battue (sans baguette) toujours aussi énergique et personnelle, un programme de près de deux heures de musique, dont une première mondiale.


Composé en 1997, Lac de lune de Michèle Reverdy se présente comme un triptyque dont les volets sont de plus en plus brefs (seize, huit et six minutes, soit une demie heure, au lieu des vingt-trois minutes annoncées) et qui plonge ses racines dans les «valeurs sûres» du siècle passé: Debussy, celui de Jeux, mais aussi Schönberg, celui des Cinq pièces opus 16. Le titre originel de Farben, la troisième de ces pièces, est d’ailleurs Matin d’été sur un lac: également en position centrale, le mouvement lent de Lac de lune rappelle le même effet d’engourdissement et les mêmes alliages originaux obtenus avec un grand orchestre jouant pianissimo. Il n’est pas non plus très surprenant d’entendre ici ou là l’écho des héritiers de Debussy et Schönberg (Berg, Webern, Hartmann, Dutilleux), dans une réalisation instrumentale d’une grande finesse et avec un lyrisme qui s’exprime au travers de mélodies de timbres. L’influence de Messiaen, qui fut l’un des maîtres de Reverdy, se ressent également dans le Rondo final, avec ses superpositions complexes de rythmes, ses chants d’oiseaux et son humeur extravertie, un peu à la manière de Turangalîla-Symphonie, même si les gammes rapides et fluides des bois qui ponctuent régulièrement le propos évoquent davantage le côté ludique d’un Ligeti.


Nelson Freire donne ensuite une interprétation de référence du Concerto pour piano (1845) de Schumann, rendant justice à tous les aspects de l’œuvre et saluée par une rare ovation: volontiers chambriste plus que soliste, il ne met jamais ses capacités techniques en avant, aussi solides soient-elles, mais il s’en sert pour délivrer un jeu limpide et transparent, caractérisé par sa variété de touchers et sa richesse de sonorités. Poétique, délicate, raffinée et intimiste, cette approche tend souvent vers Chopin, mais la fougue (accélération dans la cadence du premier mouvement) et l’héroïsme (Allegro vivace final) n’en sont pas absents pour autant. Bien loin de la routine, l’accompagnement offert par Masur, remarquablement attentif, démontre une finesse et une subtilité inattendues.


Pour la seconde partie du concert, celui qui fut durant vingt-six ans directeur musical du Gewandhaus avait choisi un autre phare du romantisme germanique, également créé, quelques années plus tôt, à Leipzig, la Neuvième symphonie (1826) de Schubert. Mais, pas plus que dans Schumann et à l’image de son intégrale Brahms il y a quelques semaines, Masur tourne résolument le dos à une «grande tradition» allemande qui serait faite de lenteur, de profondeur, mais aussi de mystère et d’angoisse. Alors que l’on en fait parfois l’annonciatrice de Brahms, Bruckner ou même Mahler, cette Neuvième élancée et bondissante s’inscrit davantage ici comme la descendante de la Septième de Beethoven, celle d’une «apothéose de la danse», tant le chef en souligne la carrure rythmique et les accents. Retenant des tempi très allants, allégeant les textures malgré un effectif fourni (soixante cordes), privilégiant la clarté des plans sonores et révélant des détails d’instrumentation généralement occultés, il en propose une vision très cohérente, d’une verdeur insoupçonnée, sans toutefois manquer d’ampleur (toutes les reprises sont effectuées, à l’exception de celle du dernier mouvement), de grandeur (péroraison du premier mouvement) ou de puissance (Allegro vivace final).



Simon Corley

 

 

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