Back
10/16/2014 Joseph Haydn : Die Schöpfung, Hob.XXI:2 Trude Eipperle (Gabriel, Eve), Julius Patzak (Uriel), Georg Hann (Raphaël, Adam), Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, Clemens Krauss (direction)
Enregistré en public au Grosser Musikvereinsaal,Vienne (le 28 mars 1943) – 100’
Album de deux disques Fra Bernardo Fb1312522
Camilla Tilling (Gabriel, Eve), Mark Padmore (Uriel), Hanno Müller-Brachmann (Raphaël, Adam), Chor des Bayerischen Rundfunks, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Bernard Haitink (direction)
Enregistré en public à la Herkulessaal, Munich (19 et 20 décembre 2013) – 101’17
Notice (en anglais et en allemand) de Vera Baur et traduction des textes chantés
Album de deux disques BR Klassik 900125
Bien que distants de soixante-dix ans, voici deux enregistrements du grand oratorio de Haydn, La Création, qui se ressemblent fortement. Captée toutes deux sur le vif, requérant de grands orchestres jouant sur instruments modernes, dirigée par deux chefs qui l’appréhendent dans le sens de la grande tradition symphonique, cette œuvre grandiose aux passages également parfois intimistes bénéficie là de deux interprétations dont la comparaison s’avère extrêmement intéressante.
Le concert véritablement historique est sans conteste celui dirigé à Vienne par Clemens Krauss (1893-1954), qui devait fêter deux jours plus tard ses cinquante ans, occasion pour les Wiener Philharmoniker de lui remettre leur anneau d’honneur. Krauss, qui avait conduit l’Orchestre philharmonique de Vienne pour la première fois le 1er mars 1924, dirige ici un concert donné au Musikverein. Souffrant d’une prise de son assez peu flatteuse, cet enregistrement, jadis paru sous le label Preiser couplé avec une Quatre-vingt-huitième Symphonie enregistrée par le même chef avec le même orchestre en 1929, avait déjà été réédité sous le label Phonographe (disque PH 5029/30) avant de l’être une nouvelle fois chez Urania en 1995. Même si l’on fait encore une fois abstraction de la prise de son, l’orchestre est plutôt bon; dès le Chaos, le hautbois viennois s’avère enjôleur à souhait. On pourra néanmoins reprocher à Krauss une approche assez grandiloquente qui s’avère très datée et se révèle presqu’insupportable, notamment dans les deux passages «Stimmt an die Saiten» et «Die Himmel erzählen die Ehre Gottes», qui conclut la première partie. Le chef étant réputé, on s’étonne également des défauts de mise en place assez nombreux, notamment entre le chœur et l’orchestre.
La grande surprise et, a fortiori, la grande déception de cet enregistrement vient avant tout de la piètre qualité du Chœur de l’Opéra d’Etat de Vienne qui, s’il ne manque ni de grandeur ni de panache dans certains passages (on pense là au chœur conclusif de l’œuvre «Singt dem Herren alle Stimmen!»), se caractérise trop souvent par un chant faux que l’on ne peut incriminer aux seules conditions de captation. Qu’il s’agisse de sa deuxième intervention (le passage «Verzweiflung, Wut und Schrecken») ou de la conclusion de la seconde partie («Vollendet ist das grosse Werk»), on peine à reconnaître là le chœur de l’Opéra de Vienne! Sur le plan vocal, les solistes ne sont guère plus enthousiasmants. Parfois trahie par un souffle un peu court, Trude Eipperle (1908-1997) manque de légèreté et de cette voix diaphane qui – souvenons-nous de Gundula Janowitz chez Karajan! – faisait de l’air «Mit Staunen sieht das Wunderwerk» un petit miracle à lui tout seul. Par ailleurs, on la sent trop souvent plus appliquée que véritablement à l’aise dans ce rôle, l’air «Auf starkem Fittiche schwinget sich» ne bénéficiant par exemple que d’ornementations vocales laborieuses et artificielles, l’orchestre se montrant par ailleurs là sous un jour des plus besogneux. On attendait beaucoup de Julius Patzak (1898-1974): on en sera là aussi globalement pour ses frais. La façon dont il appuie à l’extrême le mot «Nacht» dans la phrase «Zur ewigen Nacht» (première intervention d’Uriel dans l’oratorio) est à la limite du mauvais goût mais il se rattrape par la suite grâce notamment à un très beau «Mit Würd’ und Hoheit angetan» qui ne manque pas de finesse; le reste de ses interventions est en revanche assez neutre et ne retient guère l’attention. Quant à la basse Georg Hann (1897-1950), elle ne manque pas de présence mais fait trop souvent preuve de brutalité dans les attaques, comme c’est par exemple le cas dans son premier air.
En 1943, Bernard Haitink avait quatorze ans et vivait alors l’occupation allemande de son pays tout en travaillant le violon en dilettante. Aujourd’hui reconnu comme l’une des plus grandes baguettes en activité, le chef néerlandais, à la tête de l’Orchestre symphonique et du Chœur de la Radio bavaroise, livre pour sa part une très convaincante version de La Création, le concert du 20 décembre pouvant d’ailleurs être visionné sur YouTube en attendant sans nul doute une prochaine commercialisation sous forme de DVD ou de Blu-ray. Comment penser que Haitink n’a abordé ce pilier du répertoire classique qu’en 2011, alors qu’il semble témoigner une profonde connaissance de cette pièce? Car, d’emblée, l’atmosphère instaurée est sans nul doute celle idéalement souhaitée par la partition: «Le Chaos» bénéficie ainsi d’un premier accord très sombre qui dure près de quinze secondes avant que les cordes n’entrent ensuite en scène. Les tempi sont la plupart du temps irréprochables: vifs quand il le faut (le chœur «Stimmt an die Saiten»), plus mesuré lorsque la déclamation du chanteur soliste le requiert (l’air d’Uriel «In vollem Glanze steiget jetzt»). Certes, quelques réserves peuvent exister (l’air de Gabriel «Nun beut die Flur das frische Grün») mais elles pèsent finalement assez peu. Il faut dire que, par ailleurs, l’orchestre et les chœurs suivent admirablement les souhaits de Haitink et peignent une superbe fresque.
Bénéficiant pour le coup d’une excellente prise de son, l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise fait montre d’une grande finesse, notamment chez les bois, fortement mis à contribution tout au long de l’oratorio. Quant au chœur, il s’avère extrêmement théâtral (superbe passage que «Der Herr ist gross in seiner Macht» où il chante avec les trois solistes), ce qui, bien évidemment, est loin d’être hors de propos. Parmi les trois solistes, c’est peut-être Camilla Tilling qui se révèle un peu en deçà de ses deux partenaires; ainsi, dans le si merveilleux «Auf starkem Fittiche schwinget sich» (au début de la seconde partie), on se surprend à entendre un ou deux glissandi malvenus de même que quelques attaques prises par en dessous, la jeune soprano ajoutant au surplus quelques fioritures que nous trouvons personnellement inutiles. Pour autant, elle tient plutôt agréablement sa partie. Excellent Mark Padmore en revanche, qui nous rappelle l’angélisme touchant de Wunderlich dans le même rôle. Quant à Hanno Müller-Brachmann, il incarne un Raphaël – quel «Nun scheint in vollem Glanze der Himmel»! – et un Adam des plus convaincants, complétant ainsi un excellent trio de solistes. Sans nul doute, Bernard Haitink signe là une version des plus recommandables de La Création qui, si elle doit à notre sens céder devant la version toujours d’actualité dirigée par Karajan en 1966, n’en demeure pas moins un excellent choix.
Le site de Mark Padmore
Le site de Hanno Müller-Brachmann
Le site de l’Orchestre de la Radio bavaroise
Sébastien Gauthier
|