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08/14/2014 Wolfgang Amadeus Mozart : Messe n° 4 en ut mineur K. 47a [139] «Waisenhausmesse» [1]
Franz Schubert : Messe n° 6 en mi bémol majeur, D. 950 [2] Rachel Harnisch [2], Roberta Invernizzi [1] (sopranos), Sara Mingardo (alto), Javier Camarena, Paolo Fanale [2] (ténor), Alex Esposito (basse), Arnold Schoenberg Chor, Erwin Ortner (chef de chœur), Orchestra Mozart, Claudio Abbado (direction), Michael Beyer (réalisation)
Enregistré en public à la Haus für Mozart, Salzbourg (28 juillet 2012 [2]) – 104’27
DVD Unitel Classica/Accentus ACC 20261 (ou Blu-ray ACC 10261) – Son PCM Stereo – Format NTSC 4:3 – Region Code 0 – Notice (en anglais, allemand et français) de Christiane Schwerdfeger
Sélectionné par la rédaction
Johannes Brahms : Ouverture tragique en ré mineur, opus 81
Arnold Schoenberg : Gurre-Lieder: Intermède orchestral et «Lied der Waldtaube»
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 3 «Héroïque» en mi bémol majeur, opus 55
Mihoko Fujimura (mezzo-soprano), Lucerne Festival Orchestra, Claudio Abbado (direction), Ute Feudel (réalisation)
Enregistré en public au KKL de Lucerne (16 et 17 août 2013) – 100’12
Blu-ray Accentus ACC 10282 (ou DVD ACC 20282) – Son PCM Stereo – Format NTSC 4:3 – Region Code 0 – Notice (en anglais, allemand et français) de Julia Spinola
Sélectionné par la rédaction
«Clap de fin» pourrait-on dire en regardant ces deux concerts qui témoignent de la dernière venue du grand Claudio Abbado (1933-2014) au festival de Salzbourg et, un an plus tard, au festival de Lucerne (en attendant peut-être un jour la parution de l’ultime concert que Claudio Abbado a dirigé à Lucerne à la fin du mois d’août 2013). Ce n’est donc pas sans émotion que l’on visionne ces films qui, s’ajoutant à tant de concerts d’ores et déjà disponibles, nous rappellent les contributions majeures qu’Abbado a pu apporter à l’interprétation de la musique classique depuis plus de cinquante ans.
Commençons donc, comme d’ailleurs l’ordre chronologique nous y invite, par le concert autrichien donné à la Haus für Mozart, à la fin de mois de juillet 2012. Comme on a déjà eu l’occasion de l’écrire lors d’un concert parisien où le chef milanais avait notamment dirigé la Symphonie «Haffner», Abbado ne fait pas figure de grand mozartien. Pour autant, et ce concert nous le prouve aisément, son éducation musicale à Vienne et son caractère peuvent en faire un interprète hautement inspiré comme ce fut donc le cas pour cette Messe de l’Orphelinat que le divin Wolfgang composa pour l’inauguration de la chapelle Mariae Geburt de l’orphelinat du Renneweg alors qu’il n’avait que 12 ans. Abbado avait enregistré cette messe à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne pour Deutsche Grammophon mais le disque n’avait guère marqué les esprits en raison peut-être d’une emphase qui répondait mal à la jeunesse requise par l’œuvre. Ici, rien de tel. Il faut dire que l’Orchestra Mozart, dont c’était là la première apparition au festival de Salzbourg, bénéficie d’une moyenne d’âge très faible même si quelques «anciens» comme le contrebassiste Alois Posch, ancien Wiener Philharmoniker et pilier de l’Orchestre du festival de Lucerne, sont également de la partie: la vigueur nécessaire à la musique est bel et bien présente, de même qu’un enthousiasme manifeste qui illumine également, comme souvent, le visage du maestro italien. L’interprétation bénéficie d’une incontestable fraîcheur qui se fait notamment sentir dans le très beau Credo, où la vivacité du trait et la dynamique des cordes accompagnent au mieux un excellent quatuor de solistes. Si Roberta Invernizzi se taille la part du lion (tout spécialement dans le Gloria et lorsqu’elle lance l’Et resurrexit dans le Credo après qu’on a entendu et vu les accents dramatiques des trompettes munies de sourdines), on notera également la très belle voix du ténor Javier Camarena, qui irradie l’ensemble de l’Agnus Dei. L’image, d’une netteté et d’une profondeur de champ irréprochables, est assez variée, nous permettant ainsi de profiter à plein des divers pupitres, l’orchestre requérant en effet, outre les habituelles cordes, un orgue, quatre trompettes, trois trombones, deux hautbois, un basson et des timbales. A ce titre, la ligne de fuite qui part, à partir de 22’50, des contrebasses pour rejoindre le chef en passant par l’orgue est une excellente trouvaille, sans compter les plans, certes assez classiques, sur la gestique toujours aussi suggestive d’Abbado.
La seconde partie du concert était également consacrée à une grande œuvre religieuse, en l’espèce la magnifique Messe en mi bémol de Franz Schubert (1797-1828). Il se trouve qu’une version filmée dirigée par Abbado existe d’ores et déjà: il s’agit du célèbre concert du 1er novembre 1986 donné au Musikverein à la tête des Wiener Philharmoniker, concert également disponible au disque (Deutsche Grammophon). Autant la version viennoise était emplie de solennité et de brillance, autant la présente version se caractérise par un discours plus intérieur, plus allégé et, somme toute, peut-être plus conforme à l’interprétation d’une œuvre composée par Schubert alors qu’il n’avait encore que quelques mois à vivre. L’image, là encore classique mais servant parfaitement la partition, nous montre qui Abbado, qui l’orchestre, qui les solistes, la soprano Rachel Harnisch ayant remplacé à cette occasion sa consœur Roberta Invernizzi, qui officiait en première partie, Javier Camarena étant pour sa part rejoint par un second ténor en la personne de Paolo Fanale. Qu’il s’agisse de la vue de l’orchestre dans le sens de la largeur (à 50’20, permettant ainsi au téléspectateur d’apprécier les musiciens dans un cadre souvent masqué) ou de certains visages particulièrement expressifs (comme celui du Konzermeister Gregory Ahss), on n’en perd pas une miette. L’interprétation, quant à elle, est magnifique même si les cordes manquent parfois de suavité et d’ampleur comme dans le si beau Et incarnatus est entonné par les deux ténors au sein du Credo. Le Chœur Arnold Schoenberg est tout aussi excellent, Abbado retrouvant là un de ses compagnons de prédilection.
Près d’un an plus tard, Claudio Abbado inaugurait le festival de Lucerne par un concert donné à deux reprises. Il est facile, rétrospectivement, de conférer une signification particulière à tel événement ou à telle attitude mais comment, en regardant le visage plein d’empathie du fidèle ami Bruno Ganz, la mine au contraire inquiète de l’acteur Roberto Benigni ou les applaudissements d’un Pierre Boulez fatigué à l’extrême, comment donc ne pas y voir la prémonition de certains comme quoi cette apparition d’Abbado à Lucerne serait sinon la dernière, du moins une des dernières? Le visage même d’Abbado ne peut masquer le poids de l’âge qui se fait tout particulièrement sentir dans Brahms ou au début de Beethoven et ce n’est pas son sourire, bien que souvent présent (comme au début de Schoenberg à 19’50), qui masquera l’épuisement voire la douleur frappant le chef italien.
Le choix même des œuvres pouvait sembler annonciateur d’un avenir sombre. L’Ouverture tragique de Johannes Brahms (1833-1897) dans laquelle Abbado lance l’orchestre sitôt monté sur son podium est d’une profonde noirceur, les quelques lourdeurs de l’interprétation ne masquant pas pour autant la majesté de l’ensemble. La baguette ciselée à partir de 8’38 ou le geste impérieux donné aux violoncelles à 12’40 trahissent la volonté sans faille du maestro dans une œuvre où, néanmoins et contrairement par exemple à son enregistrement berlinois publié chez Deutsche Grammophon en complément de l’intégrale discographique des Symphonies, il se révèle plus emphatique que véritablement volontaire.
Changement d’effectif ensuite avec l’extrait des Gurre-Lieder d’Arnold Schoenberg (1874-1951), l’Orchestre du festival de Lucerne parvenant presque à doubler le nombre de musiciens en faisant par exemple appel à quatre harpes et à dix contrebasses. Or, contrairement à ce que l’on aurait pu penser ou craindre, l’orchestre sonne de manière très claire, très transparente, et se veut davantage un grand orchestre de chambre qu’un orchestre symphonique au sens classique du terme, conférant ainsi à l’œuvre de superbes couleurs comme c’est notamment le cas à 34’. Chaque musicien joue avec une ductilité impressionnante à l’image du superbe cor anglais, la mezzo japonaise Mihoko Fujimura, à la projection forte et toute théâtrale, se fondant idéalement dans l’ensemble: le drame joue à plein.
La seconde partie du concert était tout entière consacrée à la Symphonie «Héroïque» de Ludwig van Beethoven (1770-1827). L’image trahit là encore la fatigue d’Abbado (son visage, très marqué à 48’25) qui, cela s’en ressent, a parfois du mal à donner suffisamment de dynamique à la partition, notamment dans le premier mouvement, pourtant noté Allegro con brio. En revanche, et on en revient à notre remarque liminaire sur la dimension prémonitoire de ce concert, quelle émotion lorsque la caméra cadre au plus près le visage du chef (à 59’17) alors que résonnent les accents de la «Marche funèbre»! Si la reprise du thème à 1’05’50 s’avère un peu lourde et la section centrale du Scherzo manque peut-être de vivacité, le dernier mouvement est superbe et le concert se termine logiquement par une ovation debout et une pluie de fleurs sur l’orchestre, mais surtout à l’adresse de Claudio Abbado, dont la présence imprègnera encore longtemps les murs de cette magnifique salle de concert où il aura véritablement jeté ses dernières forces.
Sébastien Gauthier
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